Chapitre 24

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Il arrive que je reçoive des messages de Louise, ou de maman. Parfois même de Maël, me demandant s'il s'est passé quelque chose avec Charlie. Mais je n'ai pas eu de nouvelles d'Enzo depuis la dernière... la dernière quoi ? Que s'est-il véritablement passé la dernière fois qu'Enzo et moi étions ensemble ? J'ai de vagues souvenirs indécis. J'ai même cette terrible impression qu'il ne s'agissait que d'un rêve. Mais je sais que non. Je le sais puisque je sens encore le contact de sa peau contre la mienne. Je sens encore ses lèvres sur les miennes. Je le sens encore là, avec moi. Comme si sa présence s'était gravée sur moi pour toujours. Pourtant, je ne l'ai jamais perçu aussi irréel que maintenant. J'ai ce lourd ressenti plein d'aigreur qui me signifie que j'ai commis une erreur. Une erreur irréparable. Je devrais en parler à Charlie. Ou à Maël. Je ne sais vraiment pas ce que je devrais faire. Et si j'en parlais avec Enzo ? Pourquoi ne m'a-t-il pas envoyé de signe de vie ? J'ai l'impression qu'il s'est métamorphosé en une entité immatérielle qui s'est dissipée aussitôt qu'il a quitté mon appartement la dernière... La dernière quoi ? Que s'est-il véritablement passé la dernière fois ?

Ce mercredi, j'écris toute la journée. Charlie est partie courir et retrouver ses anciens amis. Désireux de mettre à l'écart tout contact social, j'ai refusé sa proposition de l'accompagner. Non pas que je ne suis pas curieux de rencontrer ses amis. C'est juste que les gens, ça ne m'intéresse pas au point de perdre du temps sur l'écriture de mon roman.

Elle rentre tard, légèrement saoule. Elle ne me dit pas un seul mot et monte dans sa chambre, me privant du lit à deux places une fois encore.

Le lendemain, j'ai atrocement mal au dos. Et pour la première fois, je suis le premier debout. Je prépare alors un thé pour Charlie, quelques toasts et sors l'énorme pot de Végémite. Je pense même aux jus de fruits pressés et à la marmelade. Lorsque Charlie se réveille à son tour et fait irruption dans la cuisine, un certain étonnement se dessine sur son visage. Elle a les cheveux emmêlés, les yeux bouffis et sa peau est luisante de sébum. C'est une des rares fois que l'occasion m'ait donné de considérer Charlie dans son état le plus naturel.

« Tout va bien Charlie ? »

Elle me répond d'un imperceptible hochement de tête en s'asseyant sur une des chaises autour de la table.

« Tiens, je t'ai préparé un thé, lui dis-je en lui tendant une tasse fumante. »

Elle prend la tasse dans sa main et en boit une gorgée. Elle grimace.

« C'est chaud !

— Oui Charlie, ça s'appelle un thé ! »

Elle lance un regard évasif mais boit tout de même une seconde gorgée de thé bouillant.

Je m'assois face à elle, l'observant avec attention. Je m'aperçois que son nez est parsemé de légères taches de rousseur et que ses cils sont très longs. Ses yeux ont perdu leur noirceur. Ils sont éteints. Le noir tire sur le gris. Les ténèbres qui les incarnaient me manquent curieusement.

« Charlie, qu'est-ce que tu as fait hier soir ? je l'interroge en croquant dans un toast couvert de Végémite. »

Elle pose une main sur son front.

« Je ne sais plus trop. Je crois que j'ai bu... »

Elle souffle sur son breuvage.

« Je peux avoir un toast moi aussi ? »

Je lui en tends un ainsi que le pot de pâte à tartiner.

« Que s'est-il passé d'autre ? Pourquoi tu as bu ? »

Elle étale la pâte brune sur le toast tout en réfléchissant avec difficulté. Et là, ses yeux s'illuminent. Elle recouvre ses esprits.

« C'est bon ! Je me souviens ! Nous étions à un bar et là, devine qui j'ai vu ! Mon ex-petit ami ! »

Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant