Chapitre 38

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Tout est arrivé si vite. Tout est tellement arrivé trop vite.

Je ne cessais de recevoir de constantes réponses négatives des maisons d'édition et plus ses réponses s'amassaient dans ma boite mail plus elles assassinaient mon chétif espoir qui s'obstinait à la vie.

Mais, alors que je venais de me réveiller du même cauchemar incessant, je reçois une réponse qui va tout changer.

Tout est arrivé tellement vite.

Je saute de joie dans mon appartement, improvise une petite danse et me roule par terre.

Mon excitation est telle que j'ai beaucoup de mal à me calmer.

Et surtout à y croire.

J'essuyais tellement de refus que j'étais persuadé qu'il n'y avait plus d'espoir.

Je me rassois sur mon fauteuil, complètement enivré par cette nouvelle. Mon cœur bat si vite, si fort.

Et j'ai tellement envie d'appeler Enzo.

Mais il est au Pakistan, probablement en train de sauver la vie d'un enfant alors je n'en fais rien.

À la place, je décide d'appeler Maël.

Il décroche, la voix encore endormie.

« Quoi ? Qu'est-ce que tu veux à 3 heures du matin ? J'ai des partiels, tu sais ?

— Maël ! Une maison d'édition m'a répondu ! Elle est d'accord pour collaborer avec moi et publier mon livre ! »

Je perçois dans l'instant son excitation à travers mon portable. Je raccroche après que Maël m'ait souhaité bonne chance. Je passe le reste de la nuit à écrire la plus décente et professionnelle réponse.

Il faut que ça fonctionne. Il faut vraiment que ça fonctionne.

Sinon tout ça aura été vain.

Complètement vain.

Et tout est arrivé si vite.

Le 28 juillet, j'ai fêté modestement mon 26ème anniversaire avec ma famille et Maël. J'ai même osé espérer voir Charlie apparaitre. Mais je ne l'ai pas vu depuis que je suis allé au cimetière.

L'allégresse générale de cette heureuse nouvelle avait remplacé le chagrin qui m'étouffait.

Louise, mes parents, Liam, mes grands-parents et Maël n'ont cessé d'exprimer leur excitation et leur fierté.

Le fait que j'allais mourir semblait complètement irréel.

La publication de mon livre a vraiment pris beaucoup de temps.

Il a fallu de nombreuses relectures.

Plusieurs corrections.

Il a nécessité de nombreux compromis et de longues discussions avec mon éditeur.

J'étais exténué mais ce livre ne m'a jamais autant motivé.

Ma vie avait un sens.

Ma vie avait un goût.

Un peu comme celui de la Végémite.

Au début, assez curieux et puis complètement addictif.

L'unique chose qui m'attristait était l'absence de Charlie et d'Enzo.

Tout cela, c'était grâce à eux. Et ils n'étaient pas là. Parfois, lorsque je me retrouvais seul, je me laissais consumer par la peine et me noyais dans de lourdes larmes salées.

Tout est arrivé si vite. Beaucoup trop vite.

Que j'ai l'impression qu'il s'agit de cette autre réalité chimérique. Que tout ça n'est qu'illusoire.

Qu'utopique.

Nous sommes le 28 août 2020. Après de longues semaines de travail acharné, nourri par une motivation accrue, enfin je tiens entre mes mains ce qui m'a maintenu en vie jusqu'ici. Aujourd'hui, je suis un auteur publié. Et mon roman est disponible dans toutes les librairies et grandes surfaces.

Je ne parviens pas à y croire.

C'est complètement inconcevable.

L'envie irrépressible qui m'étreint de partager ça avec Charlie et Enzo ne cesse de croitre en moi.

De toute manière, il ne me reste plus beaucoup de temps.

Alors, à défaut de ne pas pouvoir voir Enzo, je cours jusqu'au studio photo de Charlie, mon livre entre les mains.

J'y pénètre, complètement essoufflé. Et je la vois. Elle que j'avais complètement oubliée. Elle, aux yeux en amandes beaucoup trop vifs. Elle, aux courbes généreuses. Elle, avec qui j'ai partagé la puissance de l'amour qui nous unissait souvent au travers de rapports charnels.

Coi, au seuil de la porte, je la surprends. Elle sursaute lorsqu'elle me voit.

« Sasha ? s'exclame-t-elle avec étonnement. »

Je m'approche, haletant.

« Écoute Charlie, je sais que tu ne veux pas me voir et je sais que ça fait très longtemps qu'on ne s'est pas vu mais... j'avais besoin de toi. J'avais besoin de te voir et de partager la nouvelle avec toi. Parce que sans toi, je n'y serais jamais parvenu. »

Je lui tends alors mon livre. Bouche bée, les yeux brillants, elle le prend entre ses mains et l'examine. Elle lit la 4ème de couverture, sens l'odeur des pages. Son visage affiche une expression de surprise et d'émerveillement. Elle relève les yeux vers moi et se jette dans mes bras. Elle loge son visage dans le creux de mon cou.

Comme elle avait l'habitude de le faire.

« Sasha, c'est... c'est incroyable ! Je suis tellement heureuse pour toi. »

Je la serre fort. Sa chaleur, son contact, m'avaient manqué.

Elle lâche et s'éloigne de moi. De ses grands yeux, elle m'observe, émerveillée.

« Charlie ? Est-ce que tu peux me pardonner maintenant ? je demande innocemment. »

Charlie plisse les lèvres et baisse la tête.

« Non Sasha. Je n'en serais probablement jamais capable. Ce que tu as fait n'est pas excusable. »

Je baisse les yeux.

« Tu sais quoi ? dit-elle. Je crois qu'on aurait tout simplement dû rester amis ?

— Non. Je ne crois pas. Je ne regrette pas le moindre instant avec toi, Charlie. »

Je replace une mèche de cheveux derrière son oreille et caresse doucement sa joue. Elle pose sa main sur la mienne.

« Mais c'est trop tard de toute manière, murmure-t-elle. »

Je retire ma main et me masse la nuque.

« Oui ! Je sais et... et je compte me rattraper ! Et si nous étions amis ? Comme avant ? »

Charlie a le regard figé sur mon livre.

« Charlie ?

— Sasha, quand est-ce que les médecins ont prévu ton décès ? »

Je hausse les épaules.

« Au cours du mois de septembre.

— C'est bientôt, assume-t-elle dans un frisson. »

Elle relève ses sombres yeux vers moi.

« Comme avant alors ! »

Je hoche la tête en l'enlace avec incommodité, comme si ça ne paraissait pas normal.

Je suis si heureux d'avoir retrouvé ma vieille amie que j'oublie tout le reste.

Nous décidons d'aller nous promener dans Paris, le temps étant très agréable.


Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant