L'odeur aseptisée des produits désinfectants et celle des vieux aux cheveux qui tombent et aux dents manquantes s'immisce dans mes narines. Je n'aime pas beaucoup cet endroit. Il semble conçu pour de régulières visites de la faucheuse et l'angoisse qui l'enveloppe. Je frissonne quelques secondes à la vue d'un vieil homme immobile dans un fauteuil roulant. Son visage est parcheminé par d'innombrables rides, ses cernes et la peau de son cou tombent. Il semble que son visage fonde, comme si nous étions une bougie que le temps consumait.
Je me serais vite fait consumer. En tant que bougie, ma flamme aura persisté un temps.
Peut-être pas autant que je l'aurais voulu.
Peut-être autant qu'il a fallu.
Il tremblote dans son fauteuil. Son corps chétif, maigre, me parait si fragile, si vulnérable.
Donc si j'ai bien compris, nous naissons dans la plus grande vulnérabilité et mourrons tout aussi vulnérables ?
Et bah putain !
Je m'attarde sur une infirmière aux yeux cuivrés qui distribue de petites pilules bleues à chaque ancien qu'elle croise, sans doute perdu dans cet interminable couloir.
Peut-être que non, je n'aurais pas aimé avoir 87 ans. Si c'est pour être aussi dépendant et apathique qu'une pomme de terre, drogué par des médocs matin, midi et soir, alors je me réjouis légèrement de mourir à 26 ans. Cet endroit est sinistre. Il est le berceau même de ces âmes qui se raccrochent péniblement à cette vie pas belle, pas belle du tout.
Je devrais rester ici. On s'occuperait de moi, je deviendrais addict aux cachets violets et jaunes et aux promenades du matin, rythmée par les lents pas des vieux, de leurs cannes, déambulateurs et fauteuils roulantes.
Ils sont tous là, tremblotant, comme s'ils attendaient tous dans ce lugubre aéroport l'avion vers leur fatale mort.
Cet endroit assassine considérablement l'humeur joviale que je m'étais exigée. Et c'est brutal. Même douloureux.
Pourtant, le visage de mon amie est lumineux, rayonnant. Ses pas sont pressés et son excitation est si vive qu'elle se traduit par de petits soubresauts compulsifs. J'ai dû mal à maintenir la même vitesse qu'elle, sidéré par ces personnes âgées qui sourient malgré tout.
Ils n'accordent pas autant d'importance à leur proche décès que moi. Ils vivent leur vie grelottante. Heureux.
Charlie se fige devant une porte bleu pervenche, la poignée est maculée de taches grises. Elle semble attendre qu'elle s'ouvre d'elle-même. Je m'approche d'elle et la considère. Ses yeux sont mouillés. Ses mains tremblent. Elle baisse la tête en replaçant sa mèche bouclée derrière son oreille.
« Eh, ça va ? je murmure. »
Ses épaules sont voutées, sa voix tremble.
« Elle est toujours derrière cette porte, non ? »
Elle relève la tête, prends une grande bouffée d'air et essuie ses yeux.
« Oui, je sais. C'est juste que... »
Je pose ma main brulante sur son avant-bras pour la rassurer.
« Ouvre la porte Charlie. C'est seulement en constatant qu'on sait. Arrête de te faire des idées. »
Elle renifle, essuie son nez puis pose sa main sur la poignée salie et pousse la porte.
Une vieille femme est assise dans un énorme fauteuil rose bonbon, bouquinant un vieux livre corné.
Je plisse les lèvres en observant les effusions de tendresse entre Charlie et sa grand-mère. Elles s'enlacent quelques longues secondes, puis Néolie place ses mains ridées et bleues sur les deux joues roses de Charlie qui ferme les yeux, réjouie de ce contact froid contre sa peau froide.
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Crève-Cœur
Romance6 mois. Seulement 6 mois avant d'être oublié par l'existence. 6 mois pendant lesquels il ne faut laisser personne s'attacher et ne s'attacher à personne. 6 mois avant de mourir. Mais c'est alors que, fortuitement, Sasha retrouve sa meilleure amie d...