Chapitre 8

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Ce dimanche, je me réveille tôt, beaucoup trop tôt. Mais les incessantes pensées qui me hantent ont tourmenté ma nuit. Je n'ai cessé de me remuer dans tous les sens pour trouver le sommeil ; en vain.

Les blessures sur mon visage disparaissent progressivement, mais la douleur persiste tout de même. Mon corps est engourdi, et comme d'habitude, la journée commence avec de déplaisants maux de tête. Mes cheveux sont en batailles et mes yeux sont gonflés. Il y a bien longtemps que j'ai perdu mon charme d'avant. D'avant cette putain de maladie.

Je baille, mange et, vêtis d'un vieux survêtement, je continue désespérément l'écriture de ma triste histoire. Mon seul et unique rêve n'est qu'un souffle qui se dissipe. Qu'une flamme sur le point de mourir. Tout comme moi. De toute manière, qui lirait le livre d'un jeune homme dépressif pas assez fort pour combattre la maladie ? Personne n'a envie d'entrer dans ce monde que j'ai créé il y a un an et demi. Un monde sans fatalité. Bien trop utopique pour être réel.

Mais cette histoire est l'unique chose qui me donne une brève saveur de ce que l'amour peut être. De la couleur de la vie ; la belle vie.

Je ne suis rien d'autre qu'un être humain brisé par lui-même.

Je secoue la tête et ferme ce document Word, origine de mon désespoir. À ce moment-là, j'entends quelqu'un frapper à la porte. Je me lève mollement. Étrange : je n'attendais personne.

Je regarde à travers le judas et aperçois la silhouette d'une jeune femme aux longs cheveux noirs de jais. Je soupire, agacé. Appuyé dos à la porte, je réfléchis.

« S'il te plait Sasha, ouvre-moi, me prie Charlie. »

Je ferme les yeux. Je ne dois pas. Cette porte est l'unique chose entre elle et moi. Je ne peux pas l'ouvrir.

« Je ne te comprends pas. Lorsque je t'ai vu à cette soirée, je savais que tu avais, à un certain moment, joué un rôle important dans ma vie. Je ne savais pas lequel, mais... »

Elle cesse de parler pour renifler.

« Maintenant je sais. Et, j'ignore pourquoi tu tiens tant à me tenir à l'écart mais je peux t'aider. Quoiqu'il se passe. Laisse-moi entrer, j'ai besoin de te parler. »

Elle marque une pause.

« De te parler d'hier. »

J'ai envie d'ouvrir violemment la porte pour la prendre dans mes bras. La sentir proche. Elle m'obsède alors que cela faisait 8 ans que je l'ai oublié. Pourquoi ? Pourquoi ai-je tant envie d'elle près de moi ? Mais je ne peux pas.

Je suis un cadavre encore en vie, sans envie de vivre. De vivre un amour insensé. Avec une fille insensée. Je n'ouvrirai pas cette porte ce serait perdre une guerre à peine commencée. Les battements de mon cœur s'accélèrent. J'ai envie qu'elle parte sans que j'aie besoin de lui dire. J'ai déjà assez de tourments avec moi-même et mes sentiments incertains. Je n'ai pas besoin d'elle. J'en suis convaincu.

« Je sais que tu es là, me prévient-elle calmement. Tu n'as nulle part ailleurs où aller. Ouvre-moi s'il te plait. Tu étais mon meilleur ami. Et même si cela fait très longtemps, j'ai toujours le sentiment que c'est le cas. Ouvre, je t'en prie. Je veux juste discuter avec toi. »

Je sens sa voix brisée derrière la porte. Et le désir de lui faire face m'est insoutenable.

Je tombe sur mon lit, méprisant ma propre personne. Je ne veux pas lui faire de mal. La tenir à l'écart est la meilleure manière de la protéger. Qu'importe ce qu'elle pense de moi. Ça m'est égal, de toute manière je vais crever.

Quelques minutes plus tard, j'entends des pas étouffés s'éloigner peu à peu. Elle est partie.

Je traine toute la journée sans but dans mon studio. Le soir, mes deux vieux amis me rendent visite. Peu importe mon état dépravé, je les accueille dans ma prison personnelle.

« Vieux, pourquoi tu es parti si tôt hier soir ? m'interroge Maël à peine entrer. »

Je hausse les épaules.

« Je... J'étais fatigué. Et j'ai embrassé Charlie... »

Ils me dévisagent tous deux avec de grands yeux écarquillés. Dans le regard de Maël : de l'excitation. Dans celui d'Enzo : une pointe de jalousie.

« Mais je regrette. Elle est venue chez moi ce matin mais j'ai refusé de lui ouvrir.

— Attends, tu l'as laissé derrière la porte ? s'étrangle Maël. »

J'acquiesce en rentrant les lèvres et hochant la tête. Enzo, lui, continue de me regarde avec intensité. Comme s'il était plein de rancœur, il me fixe de manière obsessive. Et il le sait. Mais il ne cesse pas. Maël fait les cent pas dans mon appartement, réfléchissant profondément sur mes confessions. Je m'éloigne d'eux un instant pour me diriger vers mon bureau ; la photo est toujours là. Ce souvenir destructeur qui insiste pour faire partie du présent.

« Je pensais qu'après ce que je t'ai dit l'autre jour, tu avais compris. Sasha, je ne sais plus ce que tu veux. »

Je baisse la tête et reviens me laisser choir machinalement sur mon sofa près d'Enzo. Nos bras se touchent, mais il se décale aussitôt, embêté.

« Je veux terminer ce fichu roman, le publier puis mourir. »

J'entends Enzo prendre une profonde respiration. Il se lève brusquement et, étrangement, le temps semble s'être ralenti. De toute sa grandeur, il me domine. Et le temps s'accélère. Mon cœur se serre.

« Putain, mais arrête avec ton roman à la con ! Arrête de fuir les gens qui t'aiment parce que tu as peur d'être qui tu es vraiment. Arrête de ne te résoudre qu'à ce pauvre type qui va mourir. Putain, mais cesse un instant d'être à ce point obséder par le fait que ta mort peut tout te permettre. »

Il reprend son souffle. Je me tasse dans mon sofa.

« Tu es incroyable. Tu m'as sauvé la vie. Même si c'est toi qui m'as abattu. Tu as empêché que je coule dans ces larmes que je ne cessais de verser. Et je t'aime tellement ! »

Il pleure. Ses larmes coulent le long de ses joues. Il pleure toute la douleur qui l'habite.

« Je t'aime tellement Sasha Simons ! Et si seulement tu n'avais pas cette idée fixe de ta mort inévitable, tu profiterais un peu plus de la vie ! Tu profiterais un peu plus de qui tu es. Tu aurais une nette idée du goût de la vie. »

Il renifle et se frotte le visage pour sécher ses larmes. Mais de nouvelles dévalent ses joues.

« Et je te déteste. Je déteste la manière dont cette fatalité t'a transformé. Mais tu sais quoi ? Tout le monde ici va mourir ! Pas uniquement toi ! Arrête, je t'en prie. Arrête de t'autodétruire de cette manière putain ! Parce que j'ai envie de te retrouver. Celui que tu étais avant. »

Il essuie ses dernières larmes, son regard me meurtrit le cœur. II lance un regard à Maël puis termine :

« Il ne te reste que 6 mois tout au plus. Ne gaspille pas ce temps. »

Et il s'en va, essuyant une dernière larme sur sa joue.

Fébrile, les mains crispées, les larmes sur le point de couler, le cœur serré, je ne bouge plus. Le moment que je redoutais est enfin arrivé. Je lève les yeux vers Maël. Il me regarde, toujours avec pitié. Comme si c'était l'unique chose que je représentais pour lui ; de la pitié. Il prend place sur le sofa près de moi, ouvre la bouche mais aucun son ne sort.

« Il va falloir que tu fasses quelque chose. C'est bientôt la fin. Pour tout le monde. Pas seulement pour toi. Fais-en sorte que ce soit la meilleure fin possible. Prends les bonnes décisions. Faits les bons choix. Et cesse de te mentir. Parce que tu sais qu'au fond de toi, tout ce que tu n'as pas cessé de me dire n'est pas la vérité. 6 mois Sasha, ce n'est pas long pour vivre. Mais tu dois faire ton maximum pour vivre pendant ces derniers mois. Je veux dire, vivre pour de vrai. Parce que la vie est belle. »

Il se lève pour aller chercher deux bières dans le réfrigérateur.

Non Maël, la vie n'est pas belle. Pas belle du tout.

Nous discutions jusque très tard dans la nuit. Mais lorsque je ne peux plus lutter contre la fatigue, il s'en va. Me laissant raisonner seul.


Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant