Chapitre 14

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Le soleil est haut dans le ciel, projetant ses halots lumineux sur cette tristesse épongée par ma hautaine et désinvolte personnalité.

Ces taches noires autour de mon corps dépouillé de vie essuient vulgairement les larmes au coin de leurs yeux. Elles se recueillent autour de cette boite mortuaire, priant pour que jamais je ne revienne à la vie. Car la vie qui m'a été donnée a été galvaudée.

Je les vois faussement peinés, trainant des pieds, maquillant leur allégresse qu'enfin je sois mort.

La composition florale colorant ce jour morne est un mélange de géraniums, pétillants de leur violet éclatant, de gerberas, dulcifiant de leur rose pastel l'obscurité vestimentaire, et de chrysanthèmes, au blanc contrastant du noir pétrifiant ambiant.

Ma mère, couverte d'une longue robe noire et d'un châle rapidement posé sur ses épaules, affiche son cœur brisé et sa peine éternellement encrée en elle. Ses larmes sèchent sur son visage. Continuellement remplacées par de nouvelles.

Mon père a sorti son bas de costume noir que jamais il ne porte. Sa chemise et sa veste, noires aussi, mettent en valeur ses larges bras. Sa cravate est violacée. Il serre les poings, les épaules voutées. Il est consumé par une profonde désolation et ses yeux vitreux m'oppriment.

Mes deux grands-mères sont affublées de leurs jupes noires évasées, aux nombreux plis et de leurs hauts macramés. Noirs toujours. Leurs cous couverts de ridules sont ornés de perles noires. Elles se tiennent la main, versant chacune de lourdes larmes. Essuyant la joue l'une de l'autre à l'aide d'un chiffon blanc.

L'unique grand-père qui me reste affiche un accablement déplorable. À l'habitude intraitable et au visage toujours fermé, il montre aujourd'hui un certain chagrin quant à la perte de son petit-fils. Son pantalon noir maintenu par des bretelles marron est trop remonté. Son blaser, noir lui aussi, est celui qu'il portait au mariage de maman et papa.

Louise et Liam sont figés dans une étreinte. La tête de mon frère est posée sur la poitrine de ma sœur, passant machinalement sa main dans ses cheveux bruns. Ma sœur porte une robe bustier noire qui lui arrive aux genoux. Ses jambes sont recouvertes d'un collant noir aux motifs floraux. Son cou est paré d'un collier au pendentif représentant un aigle. Son époux, dans un costume noir, se tient près d'elle, tête baissée. Ils surveillent avec vigilance leurs jumeaux assoupis dans leur poussette.

Puis il y a Enzo et Maël, têtes baissées pour dissimuler leurs larmes abondantes noyant leurs visages accablés. L'élégance et le raffinement d'Enzo ne lui faisant jamais défaut, il arbore un costume noir impeccable aux finitions indéfectibles. Le nœud papillon cernant son cou est orange fluo. Juste parce que tout ce noir le démoralise.

Les vêtements froissés de Maël et son Jean noir troué lui enlèvent le moindre sérieux. Sa tenue est complètement dépareillée et le nœud de sa cravate est mal fait. Je sais qu'Enzo meurt d'envie de le nouer décemment mais ce serait inapproprié.

Un peu à l'écart, une jeune femme à l'abondante masse de cheveux noir de jais maintenus par un bandeau noir, est complètement dévastée. Son visage est rendu méconnaissable par les larmes et les irritations causées par les frottements incessants de ses yeux.

Mais je la reconnais : Charlie, la vague à l'âme, la main à son médaillon, baignant dans un indescriptible deuil. Elle est vêtue d'une jupe patineuse serrée à la taille et d'un justaucorps noir découvrant ses épaules.

Quelques autres de mes amis sont là, vêtus de noir, tristes.

La musique funèbre, lugubre s'amplifie. Elle en est assourdissante par son diabolisme sépulcral.

Crève-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant