1~ Moi ? Sérieusement ?

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Ils sont venus me chercher à l'aurore. Quand la nuit laisse la place aux rayons du soleil : l'aurore.

Ils m'ont tirée de ce léger sommeil dans lequel j'avais réussi à sombrer pour me conduire dans leur belle limousine. Ils m'ont extirpée de ma vie misèreuse, des quartiers mal famés d'Hiberna à bord de cette bagnole qui pue le pognon. Comme si ce n'était plus chez moi. Comme si je ne faisais plus partie de ce bas monde. Comme si j'avais plus ma place enfoncée dans ces gros sièges en cuirs qu'à rayer la carrosserie de cette voiture !

Et ils m'ont arrachée à mon frère. Oui, à ce traître qui m'a regardée traîner des pieds pour sortir de notre cabane faite de taule avec un grand sourire quand ces soldats bien habillés m'ont appelée. Lui qui m'a enterrée dans cette foutue compétition jusqu'au cou, qui m'a forcée à participer à cette émission alors que je l'ai toujours détestée. "Un simple défit, Ielle", je l'entends encore chatonner. "Trois semaines, juste le temps d'avoir assez d'argent pour tout rembourser". Mais c'est long trois semaines, Noah.

C'est allé trop vite, je n'ai eu le temps de rien prendre. Bye le collier de ma mère, la montre brillante de mon père et les boucles d'oreilles en or que j'ai eu le cran d'acheter, reposez bien sur ma table miteuse pendant que je vais gâcher les prochaines semaines de ma vie à ce foutu jeu. Et dire que ça aurait été la seule occasion pour laquelle vous auriez servi...

Eh bien non ! C'est les joues barbouillées de poussière, sans le moindre bijoux ou le moindre maquillage que je pars défier ces nobles resplendissants ! Et il faudrait que j'ai mes chances ?

Au moins n'aurais-je pas eu le temps de me défaire de mes poignards en rentrant de ma virée nocturne. Voyons le coté positif, je pourrai me défendre ! C'est comme ça, avec des armes, Gabrielle va tout de suite mieux.
Les autres auront des dents lumineuses, des lèvres pailletées, de beaux bijoux... et moi j'aurai mon poignard en fer. Pas moins brillant, bien plus utile. La pensée d'avoir toujours ce pouvoir de vie ou de mort sur les autres en main saura toujours me réconforter.

Quand j'arrive à destination, le jour s'est levé depuis de longues heures. Un maigre déjeuné dans le ventre, je m'avance prudemment à l'affront du grand Palais, sublime et tranquille. Mais je suis vite sortie de mes rêves. Avec la petite salle d'entrée vient la première épreuve : les portiques de sécurité.
Le palais doit rester un havre de paix... c'est bien ma veine.

Le pire, c'est qu'ils détectent même une lame en pierre. Eh oui, même la pierre ! Des cinglés, ces agents de sécurité Jours.

C'est donc avec un rictus mauvais que je me vois obligée de sortir mon dernier poignard d'une poche cousue contre ma botte, qu'ils n'auraient jamais pu trouver. Leur étonnement m'arrache tout de même un sourire.

- Vous êtes sûr que nous pouvons la laisser rentrer ? s'interroge un agent de sécurité dans mon dos.

Oh non ! Vous ne devriez pas, inconscients. On ne laisse pas entrer Gabrielle dans un lieu qu'on veut protéger, même en lui enlevant ses poignards !

- Oh, je pense que vous pouvez... répondé-je à la place. Elle devrait savoir se tenir. Et puis ce serait dommage de laisser une participante dehors, non ?

L'agent rougit. Oh, ils sont si facile à taquiner ces gardes royaux ! Ils savent mieux porter leur costume que faire régner l'ordre. Un régal de les voir ne pas savoir comment m'aborder !

- Eh bien, osons espérer qu'elle dise la vérité, renchérit un soldat à l'accent grave qui ne m'est pas inconnu.

Je m'aperçois en me retournant que c'est bien ce pitbull d'Amerell qui m'a suivie jusque là. Avec tous les joyeux événements de la journée, j'avais presque oublié qu'un soldat de la ville de chaque participant devait passer au palais en amont pour donner des instruction quant à son hébergement. Mais heureusement pour moi, il est aussi prévu qu'ils partent dès l'arrivée de leur candidat.

Le garde s'avance vers moi. Son odeur de tabac froid me fait plisser le nez, attirant dans ma gorge cette habituelle sensation de nausée. Je ne sais pas combien de clopes il fume chaque nuit, mais à ce train, ce bon vieil agent aux yeux ternes ne va pas tarder à crever. À vrai dire, ça m'étonne même qu'ils aient laissé cette épave entrer au palais.
Bon après tout, ils m'ont bien laissée entrer aussi. Alors si il fallait vraiment s'inquiéter pour leur bon goût...

- Dire la vérité ? Ça doit être faisable, articulé-je en direction d'Amerell, la voix pleine de défi.

Menton levé, lèvres retroussées sur mes dents sales et regard provocateur, je le regarde ronger son frein avec un amusement mesquin. Ah, c'est bien la première fois que l'agent violent ne peut pas me faire ravaler mon insolence à coups de matraque ! Vraiment, c'est un délice.

- Enfin, vous me connaissez ! le titillé-je encore.

Le soldat serre les dents, puis finit par hocher mollement la tête, le regard hagard. Satisfaite, je laisse mes lèvres s'étirer sur un sourire triomphant avant d'aller chercher une dernière arme contre ma côte. Tout petit, ce presque cure-dent en bois était à deux doigts de passer inaperçu. Mais maintenant, trônant dans le bac blanc en plein cœur des lumières, il fait pâlir les agents de sécurité.

- Vous voyez, vous pouvez me faire confiance !

Ils acquiescent.
... mais au fait, pourquoi je viens de faire ça, moi ? Ils ne l'avaient pas vu ! Pff, te voilà déjà embarquée dans l'honnêteté, Gabrielle. Et dire que tu viens juste de rentrer !

Mais si je dois rester trois semaines ici, je risque de subir des dégâts. Oh, je compte bien laisser cette parenthèse argentée pleine de rose et de paillettes hors de ma vie plus tard, bien entendu. Sauf qu'aujourd'hui, je dois m'assurer de rester assez longtemps pour sauver mon frère. Alors si il faut en passer par là...

- Mademoiselle Gabrielle ?

L'appel d'une jeune femme brune qui vient d'entrer dans la pièce me coupe la respiration. Mes réflexes ont la vie dur, je ne peux m'empêcher de me raidir. Après tout, n'étais-je pas en pleine mission le soir même ? Difficile de ne pas rester sur mes gardes.

- Elle même, acquiescé-je.

Son visage se détend quand elle pose les yeux sur moi. Elle les a bruns, chaleureux. Postée ainsi, elle ressemble à l'une de ces serveuses d'auberge toujours aux petits soins pour leur clients. C'est comme ça, elle m'inspire confiance.

- Veuillez me suivre, fait-elle en s'inclinant.

Puis elle disparaît à nouveau. Sans gaspiller un regard supplémentaire pour Amerell, je m'empresse de traverser la pièce pour passer la même porte.
La femme la tient encore, toujours souriante. Mais de près, son rictus m'apparaît plus forcé. Elle me fait signe d'avancer avant de fermer derrière moi. Mes muscles se tendent, je n'aime pas qu'on condamne mes issues.

- Du calme, ma grande, s'amuse une voix piquante dans mon dos.

Je me retourne vivement, et finis par laisser tomber toute prudence quand je me rends compte de là où je suis.
En y pensant, mis à part la cuisine, il ne doit pas avoir d'autre pièce dans le palais qui possède autant d'armes potentielles. Des ciseaux, limes, rasoirs, un sèche cheveux... Sauf qu'ici, entre ces deux bonnes femmes aux grands sourires, il n'y a que mon apparence qui a quelque chose à craindre.

- Une Nuit à ce que je vois, constate la grosse pimbêche couverte de rose qui m'a prise par surprise avec un rictus.

Non, vraiment ? Moi, je ressemble à une Nuit ?

- Il va y avoir du boulot... relève-t-elle après avoir m'avoir entièrement détaillée.

Puis elle part chercher ses instruments.
Et je laisse échapper un long soupire.

Non, finalement, il y a aussi mon ego qui risque d'en prendre un bon coup ici.

Best's gameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant