23~ Ne me défiez pas !

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— Bonjour chers participants, s'annonce un homme bien habillé en entrant dans la salle de classe.

Sa voix est terne et hautaine, typique de son attitude guindée. Les conversations cessent à ses mots, nous nous tournons tous respectueusement vers lui tandis qu'il pose lourdement ses documents sur le bureau. 

— Je suis monsieur Auvain, votre professeur d'étiquette pour cette manche, se présente-t-il d'un ton traînant.

Puis il prend une craie et va écrire son nom au tableau en longues lettres fines, comme si nous étions à l'école.
Eh bien, déjà que cette semaine basée sur les bonnes manières ne me disait rien qui vaille —surtout que je dois me battre pour ma place maintenant—, ça va être difficile de tenir avec un prof comme lui. Si c'est ce poireau qui doit nous fait cours, je risque d'avoir de très mauvais résultats parce qu'il ne me donne vraiment pas envie d'apprendre.

Je détaille attentivement son allure. Veston bien boutonné, couleurs accordées et chemise ainsi que pantalon fraîchement repassés, il est un monstre de l'apparence. Son visage est aussi lisse que ses vêtements et ses cheveux sont plus brillant de gel que ses yeux d'émotion, sans parler de sa moustache brune symétrique taillée au millimètre près pincée de tension, tout en lui attise mon mépris. Il est trop fade pour moi, désolée.

Et le petit rictus qu'il esquisse en croisant mon regard lors de l'appel —l'appel je vous jure, comme si l'un de nous pouvait être absent— m'informe que je suis trop excentrique pour lui.
Au moins la répulsion est réciproque. Sauf que je ne suis plus tellement en mesure de revendiquer quoi que ce soit si je veux garder ma place pour la semaine prochaine. Il va falloir me tenir à carreau, malgré ça.

Après avoir rangé son carnet, le professeur entame stoïquement son court sur les bonnes manières.

Je ne crois pas avoir assisté à quelque chose de plus morne et inutile de toute ma vie ! 

Il nous sert un long monologue pour savoir comment se comporter dans la haute société. Il nous apprend comment se présenter devant une telle ou une telle personne, comment incliner la tête face à une autorité, quelles sont les différentes familles représentées à la cours, comment se comporter en présence de personnes étrangères... et j'arrête de compter.
C'est ennuyant, ça fait trop d'informations balancées dans la vague pour ma petite tête.

Je m'acharne quand même à faire des efforts. Si je ne me concentre pas tellement sur la leçon, je veille au moins à bien me comporter. Ce qui n'est pas le cas du prince dont les bâillements qu'il ne cherche pas le moins du monde à réprimer deviennent presque provocateurs au fur et à mesure du cours. J'ai bien envie de lui demander comment il fait pour être si fatigué au Palais, avant de me rappeler que lui adresser la parole serait une très mauvaise idée.

Non, nous n'avons plus le droit de nous parler.

Malgré son attitude franchement isolante, le prof ne le reprend jamais. Peut-être est-ce parce qu'il sait qu'Eliam n'a pas besoin de son enseignement —c'est un prince, il sait déjà tout ça après tout—, ou alors c'est parce qu'il ne veut pas être pris à réprimander un de ces précieux Marath. Dans tous les cas, le favoritisme est flagrant.

Et au final, c'est à moi qu'il décide de lancer la première question. Comme par hasard...

— Mademoiselle Gabrielle, m'interpelle-t-il de sa voix éternellement lasse. Que doit-on dire à une duchesse du Sud de l'Aguia si l'on est amené à l'accueillir au château ?

Je reste muette, n'ayant pas la moindre idée de la réponse qu'il attend. Debout devant mon bureau, dans le silence attentif des autres participants, je me sens bien bête de ne pas avoir une meilleur mémoire.

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