2~ De mieux en mieux...

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J'avais raison ! Mon ego se fait démolir !
Madame grosse-framboise - surnom dû à son importante corpulence et à son style vestimentaire franchement douteux - se révèle posséder une langue de vipère particulièrement féconde. Et sa voix nasillarde glisse sur moi comme une cascade d'acide tandis qu'elle m'inspecte de bout en bout, relevant toujours plus de défauts.

- Mais regardez moi cette peau ! Bon dieu, je n'ai pas de crème à miracle moi !

Oh, c'est dommage. J'avoue que ma pauvre peau qui a toujours traîné dans la poussière en aurait bien besoin. Ils auraient dû y penser, à accueillir des paysans dans leur Palais.

- Ces ongles... on dirait qu'ils grattaient la terre tous les jours !

Eh bien non, ce n'était pas la terre, raté ! En tant qu'ouvrière, j'étais dispensée de ce genre de travaille. Petite main dans une grande usine, je m'occupais plutôt d'assembler des produits pour les autres castes. Donc là, ce n'est ni plus ni moins que de la mauvaise volonté.

- Et puis ces cheveux... je devrais tous les couper !

Alors ça, HORS DE QUESTION ! On ne touche PAS à mes cheveux de platine ! Si je me suis embêtée à les garder longs malgré tous les inconvénients que ça incombe, c'est pas pour qu'une moins que rien me les vole maintenant !

- Mais quelle sorte de maladroite il faut être pour accumuler tant de cicatrices ?

Pas maladroite, hors la loi ça suffit. Faire des bagarres et jouer avec des poignards, ça laisse des traces. Mais j'en suis fière de ces blessures ! Alors si tu compte par exemple cacher cette vilaine coupure qui traverse mon sourcil droit à force de maquillage, attends toi à ce que je vienne te faire la même dans ton sommeil grosse idiote.

- Même pas une forme pour rehausser cette silhouette. Il est moins nourri qu'un chien, ce pauvre corps !

J'y peux rien ! Oh et puis madame est bien placée pour parler de formes. Elle, on dirait qu'elle les bouffe, ses chiens.

- Mais comment je vais rattraper tout ça...

C'est toi l'experte ! Par contre si tu pouvais travailler en silence, ce serait pas de refus.

Non, mes seules consolations face à ces longues minutes d'humiliation sont les sourires désolés de l'autre femme. Sourires que je me sens d'ailleurs bien obligée de renvoyer. Enfin, jusqu'à ce que la mégère en intercepte un.

- Oh mon Dieu, ces dents !

Et la voilà à ouvrir ma bouche en grand.
De petits glapissements s'enfuient de ma gorge tandis qu'elle s'obstine à détailler toute ma dentition. Et je ne peux m'empêcher de ressentir un pincement de pitié en m'imaginant l'horreur que doit être mon haleine.

- Des caries, des caries ! Oh, je ne savais pas qu'on pouvait en accumuler autant dans une si petite bouche !

Eh bien moi si ! Ah ma pauvre, si tu pouvais voir les dents des hommes avec qui je traite. C'est du charbon qu'ils ont dans leurs bouches, eux !

- Il va falloir appeler un dentiste, Nora, déplore la grosse femme. C'est un carnage.

Et loin de me vexer de cette énième insulte, je ne retiens de son commentaire que le nom de l'autre femme : Nora.
Nora... oui, c'est un nom de serveuse. Un nom court, facile à prononcer même avec plus d'alcool que de sang dans les veines. Il est chaleureux, doux, chantant. J'approuve, ça lui va bien.

- Ce sera fait, madame, s'incline-t-elle.

Et je l'imagine dans un autre lieux, dans une autre tenue, sous une autre lumière. Sa frêle silhouette entre les tables de L'étoile chantante, à s'incliner devant un gros bonhomme qui aurait fait appel à mes services. Je me vois la regarder avec indulgence, songeant à lui donner une pièce du balourd quand je lui aurai fait les poches.

Mais j'arrête vite de penser à tout ça. Oui, parce que la styliste a décidé de me diriger droit vers le bain. Le calvaire va commencer !

- Qu'avez-vous prévu, Madame Drawish ? s'enquit Nora.

Darwish donc.
Cette dernière ne prend même pas la peine de tourner la tête vers elle pour lui répondre.

- Un détartrage complet, présage-t-elle.

Oh, ça n'annonce rien de bon, ça. Grosse Darwish me demande de me déshabiller, préparant déjà ses armes.

- Puis-je prendre vos mesures ? me demande alors Nora en se rapprochant.

Mes joues s'empourprent quand je jette un regard sur mon corps, seulement couvert de quelques misérables pièces de tissu à présent. Mais malgré mon embarras, je suis forcée de la laisser faire. La gentille femme sort alors son mètre à ruban et s'affaire, aussi rapide et silencieuse que professionnelle, avant de demander humblement à Darwish quelles tenues elle doit me préparer.

- Pas de robes, murmuré-je, plus pour éloigner le mauvais œil que pour réellement faire valoir mon idée.

Oh oui, je déteste les robes. Ça m'écœure. Et sans parler des collants...
Sauf que ma requête est tout à fait parvenue aux oreilles des deux femmes. Alors Darwish met ses mains sur ses grosses hanches, sourit de toutes ses dents, puis me confie avec amusement :

- Oh ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude d'habiller des jeunes Nuits.

Mes dents se serrent, je ne digérerai jamais le ton qu'elle prend pour désigner ma caste. Si tous parlent de moi comme ça ici, je vais rapidement péter un câble.

- Vous n'êtes pas accoutumées à porter des robes, compatit-elle doucereusement. Mais il va falloir vous y faire. Les dames ne portent que ça ici.

Mais c'est plus de notre époque ! Franchement, comment trouver quelque chose de plus désagréable et encombrant que ces grossiers tas de tissu colorés ?

- Je ferai sans, ne vous en faites pas, déclaré-je d'une assurance prononcée.

Ce qui arrache un plus grand sourire à la styliste.

- On verra bien, médite-t-elle.

Oh oui, on verra bien.

Alors les deux femmes se détournent pour choisir mes tenues, et j'en profite pour me glisser dans le bain. De l'eau chaude ! Comme au paradis !
Je sais bien que les autres castes n'en manquent pas, sauf que c'est la première fois que j'en vois utilisée autant rien que pour moi. C'est un gâchis immense... mais ça fait tellement de bien !

Darwish revient finalement, satisfaite de me voir déjà à l'eau.

- Regardez-moi cette petite anguille, fait-elle d'un ton rieur à l'adresse de Nora.

Euh pardon ? C'est censé être quoi cette remarque ? Un compliment ou une insulte ? Je comprends pas trop...
Mais comme je suis censée être gentille et douce, je souris. Et Nora rougit.

- Tu sais que ça va être difficile de te faire remarquer avec les tenues que tu veux porter... s'inquiète la grosse styliste.

Mais elle est encore là dessus ? Je lui ai dit que c'était ce que je voulais, alors qu'elle le respecte merde.

Sauf que son ennui m'atteint tout de même. Oh, mon orgueil est peut-être un peu trop démesuré sur ce coup. Elle a raison, je risque de passer inaperçu avec des tenues trop simples. Et si c'est bien pour Gabrielle la voleuse, ça l'est moins pour Gabrielle la meilleur. Malheureusement, pour tenir ces trois semaines, il va falloir que je sorte du lot.

Des rouages s'activent dans ma tête. Non, hors de question que je me mette à porter des robes. De toute façon je ne sais pas comment me tenir avec, ça ne ferait que me desservir. Et puis d'ici à ce que miss Darwish se ramène avec d'immenses tapisseries chargées de froufrous roses... Très peu pour moi.
Puis au fond, je tiens à garder mon style. Parce que je suis une Nuit. Et que même si c'est la caste la plus basse du royaume, la caste du bas peuple, j'en reste fière.

Alors il me faut un truc pour me démarquer. Un petit quelque chose qui dise qui je suis... ou du moins, qui je dois être pour la durée du jeu. Quelque chose à quoi on pourra m'identifier. Parce que pour la première fois de ma vie, je vais devoir me faire remarquer. Je vais devoir être éclatante... alors pourquoi ne pas céder à ce vieux caprice ?

C'est donc avec des yeux doux, un petit sourire en coin et un plan bien en tête que je demande aux deux femmes, déjà fière de mon idée :

- Je pourrais avoir les cheveux violets ?

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