24~ Passer à autre chose

113 27 63
                                    

Un pas devant l'autre, le souffle calme, à écouter mes semelles crisser sur les pavés, voilà comment j'ai décidé de passer la matinée.
Le vent fait doucement bruisser les arbres qui bordent la place, le bruit attire mon regard et je l'arrête sur le paysage qui s'offre à moi de l'autre côté de la balustrade.

La vue de l'hélico était magnifique. Nous avons atterrit dans un petit hameau perdu entre des montagnes, chatouillant doucement le vide qu'il surplombe. Le décors est à couper le souffle, tout comme l'air y est vivifiant. Ça me détends, ça me fait tranquillement oublier mes problèmes. Il fait bon vivre ici !

Mais la ville est petite, ce qui risque immanquablement de me faire croiser des participants. Et je n'ai pas spécialement envie que ça arrive.

Je lève la tête pour profiter du vent frais qui caresse mon front. Je sais que ce n'est pas une bonne idée rester seule comme ça, ça va me faire dégringoler dans le classement. Une meilleur se doit d'être sociable.
Mais j'ai besoin de solitude ce matin.

Cette après-midi, je vais assister à un autre cours de ce poireau aux cheveux huileux. Je vais être enfermée dans la même pièce que Capucine et Louise qui ne départissent pas de leur hostilité et qu'Eliam qui met toujours un point d'honneur à m'ignorer, tout ça pour apprendre des leçons auxquelles je ne comprendrai jamais rien sous le regard méprisant du professeur. Autant dire qu'il ne me tarde pas vraiment de retrouver le Palais.

Je suis très bien seule, c'était une erreur de penser qu'il pouvait en être autrement. Au moins, j'ai compris ça maintenant.

Seul Corentin a été déçu de me voir partir de mon coté tout à l'heure, seul lui a essayé de me retenir. Les deux filles étaient soulagées, et moi aussi d'ailleurs. Elles ne me manqueront pas !

Je laisse mes yeux caresser la courbe des montagnes, divaguer sur les devantures colorées des boutiques du village et sur les pavés bien alignés au sol. Je suis décidément bien dans ma bulle.

J'entends soudain des bruits de pas se rapprocher. Ce filet rauque à l'intonation changeante, c'est des participants qui viennent vers moi.

— Tu as la mine éteinte, tu n'aime pas l'air de la montagne ?

Cette voix me fige sur place. Je ne l'ai pas beaucoup entendue, mais ça ne m'empêche pas de savoir exactement à qui elle appartient. 

Mes réflexes prennent le dessus. J'oublie que je suis parfaitement à ma place et que j'ai le droit de marcher la tête haute dans la rue, je file plutôt me cacher à l'ombre d'un bâtiment pour épier la conversation des nouveaux arrivants. Oh, c'est surtout pour pourvoir détecter quand ils s'éloigneront que par réel intérêt. Comme au bon vieux temps...

Sauf que ce dont je n'ai pas l'habitude dans cette situation, c'est que je connais les passants. Et que mon attention finit inévitablement par être prise par la conversation.

— J'avoue que ce n'est pas mon air préféré, répond une autre voix qui fait bouillir mon sang. Je préfère une bonne odeur de renfermé, celle d'une pièce dont t'es sûr qu'elle n'a pas été ouverte depuis quelques années...

Oh merde, de tous les participants, il faut que je tombe sur le groupe d'Eliam !

— Arrête tes bêtises, on sait tous que t'es pas dans ton assiette depuis quelques jours, le tanne une voix lasse.

— Depuis un certain événement à vrai dire, provoque un autre.

Mes poings se serrent, je coupe mon souffle. Mon cœur bat plus fort contre ma poitrine, mes émotions refont surface.
Je ne le regardais plus, je n'avais donc pas perçu de baisse de moral chez notre prince. Mais visiblement, je suis passé à coté de quelque chose. 

Mon refus l'a vraiment touché ?

— Ah ouai ? répond vaguement Eliam. Ahlala, je savais bien que mon nouveau régime ne passerait pas inaperçu !

— Tu n'as pas besoin de faire de régime ! le flatte bêtement une voix féminine que j'attribue à Elya.

Le petit groupe rigole, c'est de la moquerie. Moi par contre, mes dents se serrent plus fort. Je ne trouve pas ça drôle.

— Oh, c'est que je le cache bien ! réplique le prince dans un éclat de voix. Mais cette histoire commençait à me complexer, alors je m'y suis mis...

Je peux voir son sourire de là ou je suis, à moitié caché par la pancarte qui me dissimule. Il est crispé et forcé, c'est loin d'être le meilleur de ceux qu'il a à offrir.

Non, il n'a pas l'air en forme.

— Dis pas n'importe quoi mec, t'es maigre comme un cure-dent ! ricane l'un des deux soldats.

— Arrêtez avec vos bêtises, les rappelle à l'ordre l'autre Jour avant de se concentrer sur le prince. Tu sais, on sait tous qu'elle te tourmente encore, la petite Gabrielle...

Je réprime un crie d'indignation.
La petite Gabrielle ? Sérieusement ?

— C'est sûr qu'elle a eu du cran cette Nuit ! renchérit le premier. Tu lui fais une fleur et... pouf, mime-t-il grossièrement. T'as le droit d'être vexé mon gars !

Le bruit d'une tape sur son dos résonne entre les murs de la place. Il a leur soutient, c'est le prince la victime pour eux. Cette idée me donne des frissons, d'autant plus que la majorité des participants doivent penser la même chose.

C'est moi la méchante, je suis celle qui s'est refusée au prince... Bordel, m'a-t-il seulement demandé avant de m'embrasser lui ?

— Arrêtez de le chercher ! s'impose alors Adama. Une petite idiote n'a pas su prendre sa chance ? Eh bien tant pis pour elle ! Elle ne le méritait pas, c'est tout, balaye-t-elle d'un geste de la main. C'est du passé, n'en parlons plus maintenant. Il faudrait être bien bête pour s'attarder là-dessus.

Mes poings se serrent plus fort encore, jusqu'à ce que je sente la morsure de mes ongles dans mes paumes. Une petite idiote qui n'a pas sû prendre sa chance, ah ouai ?!
Je refoule ma colère, me campant fermement sur mes pieds pour m'obliger à ne pas bouger.

Ne pas sortir de ma cachette pour aller lui mettre mon poing dans la gueule. Ne pas lui faire regretter ses mots dans la douleur, ne pas lui faire le plaisir d'être la cause de mon élimination, me répété-je silencieusement.
Elle rage, c'est tout. Je ne lui ferai pas le plaisir de lui accorder mon attention.

— Elle a raison ! acquiesce vivement la voix d'Eliam.

Et son enthousiasme me met presque plus en colère que les pauvres insultes d'Adama.

— N'en parlons plus, affaire classée. Passons à autre chose ! Vous savez ce qu'on mange ce soir ?

Mes sourcils se froncent, sa diversion laisse à désirer.

Passer à autre chose... je crois qu'il a autant de mal que moi à le faire. Nous avons tous les deux été blessés dans notre ego, ça ne s'oublie pas si facilement.

Je baisse les yeux sur un défaut entre les pavés. J'ai beau me dire ce que je veux, je n'arrive pas à penser à autre chose. Je ne cesse de ruminer.

Elle n'aura pas duré longtemps, mais cette relation reste gravée dans ma mémoire. Elle est imprimée sur ma peau, dans ma tête, sur mes lèvres...
Et idiotement, je n'arrive pas à m'en sortir.

Gabrielle, tu es faible de ressasser tout ça. Un garçon, mais quelle préoccupation moisie !

Mon ouïe aiguisée saisit des rires sur la place, puis les bruits de pas s'atténuent. Quand j'estime qu'ils sont assez loin, je sors enfin de ma cachette. Et je ne peux pas m'empêcher de jeter un regard sur le groupe disparaissant au loin.

... sauf que je n'aurais pas dû.

Je vois des formes vagues que je sais identifier au bout de la rue. Deux frêles, Elya et Hyacinthe qui essaient tant bien que mal de s'intégrer au groupe, deux larges, Dorian et Anthony tout à leur aise, et puis deux ombres élancées au mileu de tout.

Deux silhouettes à l'allure royale... qui se tiennent la main.

Je secoue énergétiquement la tête, les dents serrées de colère.

Oh, il passe vraiment rapidement à autre chose celui-là !

Best's gameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant