Akenna-TOME 2- Le retour du serpent

Chapitre 1

Le temps m'a peut-être semblé passer à une vitesse folle, mais je n'ai rien oublié. Tout est encore tellement clair dans mon esprit, comme si c'était hier. Je revois tous les malheurs qui se sont acharnés sur moi, toutes les personnes chères à mon cœur, que je ne reverrai plus. Ma mère, Ectellion, mon père, mes amis, ils me manquent tous terriblement. Cela fait pourtant trois ans que ces tragédies se sont déroulées. Trois ans...

Mes souvenirs sont mélangés à la peur, que je ressens continuellement. À aucun moment, cette charogne ne me laisse de répits. Elle reste dissimulée, mais se montre suffisamment pour que je la ressente. Voilà pourquoi je regarde le soleil se coucher tous les soirs, car j'ai peur que le cauchemar ne reprenne.

Durant ces trois dernières années, j'ai pu faire mon deuil, j'ai pu recommencer à vivre à Athènes. Si le danger était entièrement écarté, je serais sans doute heureuse. La reine Khione est si sage, tellement gentille. Je lui dois tant. Et puis, j'ai mon fils. La personne que j'aime plus que tout au monde, celle que je refuserai de perdre. Je ne laisserai personne m'enlever mon petit Emeïdes. Je préfère vendre mon âme aux Enfers, plutôt que de laisser partir mon enfant adoré.

D'ailleurs, je viens tous les après-midi au temple de la déesse Athéna, afin qu'elle protège mon enfant. Au début, c'était pour moi et mon fils, que mes prières étaient prononcées. Mais maintenant, pour moi, la vie d'Emeïdes est bien plus précieuse que la mienne. Je m'agenouille devant l'autel, porte mon regard vers l'immense statue de la déesse, et l'implore tous les jours de sauver mon enfant.

Il ne se rend pas compte du danger qu'il court. Ce n'est qu'un petit être innocent, qui ne connait pas les risques de la vie. Si Hélios finit par le retrouver, il ne l'épargnera pas. Hélios... Je me suis pourtant jurée de plus jamais prononcer, ni même penser ce prénom. L'homme que j'aimais autrefois, mais dont j'ai fini par découvrir le sombre secret.

Je me relève, replace mon voile correctement, puis repars en direction du palais. Depuis mon arrivée à Athènes, je ne sors plus aussi souvent qu'avant. Je sais parfaitement qu'Hélios et ses soldats sont à ma recherche. Il ne les cessera pas avant d'avoir assouvi sa vengeance. S'il n'y avait pas eu mon fils, je serais allée le tuer de mes propres mains, pour venger toutes les personnes mortes à cause de lui. Seulement, la situation est différente... Je ne peux plus sortir sans voile, dissimulant ainsi mon visage, et protégeant mon identité. J'ai peur de tout, à chaque fois que je me mets à la vue du soleil.

Le char d'Hélios n'est jamais très loin, continuant de traquer sa proie, jusqu'à ce qu'il la retrouve et l'égorge sur place. Dans la cité, je suis considérée comme une femme secrète, et solitaire. Les athéniens me fixent tous avec des regards interrogateurs, et indiscrets. En même temps, je ne parle pas facilement aux inconnus. Je me méfis toujours de ce que je vois, de ce que j'entends, et de ceux à qui je m'adresse. Je suis considérée comme « la servante hautaine et froide ». Au fond, ils ont raison, mais je me moque bien de ce pense les autres.

J'arrive devant le palais, où deux gardes sont postés devant la grande porte. Me reconnaissant, ils me laissent entrer. Je remonte jusqu'à la salle du trône, où je suis sûre de trouver Khione, et en passant mon fils. La reine adore Emeïdes. Elle s'occupe de lui, lorsque je ne suis pas là.

Les portes de la salle du trône s'ouvrent à mon arrivée, et comme je l'avais prévu, Khione et Emeïdes sont tous les deux en train de jouer par terre, avec des animaux sculptés sur du bois. Lorsque mon fils me voit arriver, il se lève d'un bon et saute dans mes bras. Je le fais tournoyer dans les airs, tout en riant. Je l'embrasse, puis le repose au sol, avant de me diriger vers Khione.

– Enfin te voilà.

– Il n'a pas été trop turbulent, j'espère.

– Bien sûr que non, tu sais bien que c'est un ange.

– Un ange avec des cornes sur la tête, dis-je en riant.

– Tu es allée parler à Athéna ?

– Oui, comme tous les matins.

– Je suis certaine qu'elle ne t'abandonnera pas. C'est ton amie, et puis n'oublie pas que tu es dans sa cité.

– Je le sais.

Je jette un coup d'œil vers Emeïdes, pour voir ce qu'il fait. Je pousse un cri de terreur en le voyant se diriger vers la terrasse. Il serait à découvert d'Hélios, qui pourrait ainsi nous retrouver.

Je m'élance pour rattraper mon fils, et le ramener à l'intérieur. Un soupir de soulagement m'échappe, alors que je serre Emeïdes dans mes bras. J'ai eu si peur. Je pose mes mains sur ses épaules, alors que je suis accroupie au sol.

– Je t'ai déjà dit de ne pas aller dehors sans qu'on ait installé la toile, le grondai-je. C'est dangereux.

– Pourquoi maman ?

– Je te l'ai déjà expliqué une centaine de fois. Le monde est bien trop risqué pour un petit garçon comme toi.

– Tu mens !

À ces mots, Emeïdes court hors de la salle du trône, sans doute pour rejoindre sa chambre. Je m'en veux tellement dans ses moments-là. J'aimerais tant lui raconter tout ce qu'il doit savoir. Sur son père, sur mon passé, sur le dieu qui le pourchasse. Mais il ne comprendrait pas...

– Tu es trop dure avec lui Akenna, dit Khione.

– Je veux seulement le protéger.

– Ce n'est pas en l'enfermant que la situation s'arrangera. Tu crois sincèrement, que le fait de vous terrer dans le palais, empêchera Hélios de vous retrouver ?

– Non. Seulement, j'espère que cela allongera le temps de ses recherches.

– Emeïdes finira bien par sortir un jour, sans que tu ne t'en aperçoives. C'est là que le risque sera grand. Hélios connait ton visage, mais pas celui de ton fils. Laisse-le sortir Akenna.

– Il est tard, je dois te laisser Khione.

– Un jour, tout basculera, et tu le sais Akenna. Tu ne fais que retarder les évènements et rien de plus.

– Peut-être que tu as raison, mais je pense avoir assez affronté mon destin comme ça.

Je quitte la salle du trône, et me dirige vers ma chambre. Khione ne peut pas comprendre ce que je ressens. Elle n'a pas vécu, ce que moi j'ai subi. Malgré ma détermination et mes efforts, je sais qu'un jour, le malheur reviendra me hanter. Car les fantômes, ne disparaissent jamais. Le serpent sera bientôt de retour, pour me dévorer moi, mais aussi Emeïdes...