Chapitre 39

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J'embrasse une dernière fois Ectellion, puis pars en courant pour sortir du palais. Si je dois pétrifier Hélios, ce n'est sûrement pas en pleine ville que je vais le faire. J'ouvre en grand les portes, démarquant les frontières de mon refuge, puis m'élance à une vitesse folle vers la grande falaise. C'est là que je dois aller. Je crois n'avoir jamais autant couru de toute ma vie. Cette course folle me permet de distancer un maximum le reptile, qui ne tarde pas à me retrouver.

Hélios se lance à ma poursuite, tout en serpentant les ruelles, et détruisant tout sur son passage. Ses grands yeux jaunes me tuent du regard, tandis que les miens le mènent vers la mer.

– Cela ne sert à rien de t'épuiser à courir ainsi. Il n'y a aucune issue, siffla-t-il.

Je traverse une forêt, où Hélios ne peut pas me voir. Il m'est possible de m'arrêter maintenant, de prendre une pause avant de repartir, mais je continue. Parce que je veux en finir, une bonne fois pour toute. Je veux me libérer de ce lourd fardeau qui me pèse sur les épaules. J'entends derrière moi les arbres se déraciner, et les sifflements d'Hélios me poursuivre. Les animaux fuient dans la même direction que moi, terrorisés par la colère du dieu du soleil.

J'arrive devant un grand mur de rochers, m'indiquant le début de la falaise. Je prends une grande inspiration, puis commence à escalader. Mes mains agrippent fermement les pierres apparentes, me servant de prises. Je tire alors de toutes mes forces sur mes bras, pour me soulever et atteindre un autre appui. Mes pieds se calent chacun sur une pierre. Ces gestes répétitifs me font grimper le grand mur, me conduisant jusqu'à mon but.

Je devrais avoir peur de tomber, et me sentir préoccupée par l'arrivée possible d'Hélios, mais je ne ressens rien de tout cela. Au contraire, la force du vent emporte mes soucis, comme s'ils n'étaient rien d'autre que des grains de poussière, légers et invisibles. À chaque fois que je m'agrippe à une nouvelle pierre, un souvenir renaît. Il parcourt un long voyage, au fin fond de ma mémoire, et resurgit tel un fantôme oublié.

Je revois tout, depuis le commencement. L'histoire de mes parents, ma naissance, mes premiers pas, la mort de Galena, les retrouvailles avec Poséidon, la rencontre de mes amis, mais surtout, je me remémore la première apparition d'Hélios. Je me trouvais dans la grande salle de l'Olympe, seule devant tous ces dieux qui m'intimidaient. De tous, il a été le plus accueillant à mon arrivée. Je me souviens de la première fois qu'il m'a embrassée... Mes sentiments pour lui étaient si grands, que j'aurais pu soulever toutes les montagnes s'il me l'avait demandé. Mais la vérité est revenue, et j'ai appris à le détester. Sa plus grande peur, était de rester seul durant tout le reste de son existence.

Mais j'ai réussi à me reconstruire de toutes les tragédies que j'ai pu endurer. J'ai trouvé un remède à chacun de mes malheurs, qui resteront peut-être gravés dans ma mémoire, mais qui ne seront plus que des lointains souvenirs, des moments que je ne revivrai pas deux fois. Je suis désolée pour un grand nombre de choses, même si je ne suis pas capable d'en expliquer les raisons. Peut-être même que je le suis pour ce que je m'apprête à faire...

Je me tourne un instant, pour guetter l'arrivée d'Hélios. Les arbres tombant par vingtaine, m'indiquent la position exacte du dieu du soleil. Une larme dévale à présent ma joue, car c'est maintenant que je me rends compte, que je vais tuer l'homme que j'ai aimé de toute mon âme. Ce qu'il a fait à ma mère et à toutes ses victimes est impardonnable, mais je ne peux m'empêcher de ressentir de la pitié pour lui. Car malgré ses nombreux crimes, Hélios a un cœur, et je suis navrée de devoir le briser encore une fois. J'aimerais pouvoir l'épargner et l'aider, mais il ne m'en laisse pas le choix. Je dois en finir maintenant.

La tête du serpent apparaît, juste en-dessous de moi. Ses yeux jaunes m'indiquent sa fureur, et sa soif de sang humain. Je continue de grimper, en essayant de ne pas me soucier de sa présence. Elle ne doit pas me déstabiliser. Le monstre se redresse jusqu'à arriver à ma hauteur, et me menacer une nouvelle fois de ses crocs acérés. Je lâche alors une main, et me projette sur le côté en me cognant violemment la tête. L'un des crocs d'Hélios m'égratigne le bras, bien profondément. Je lui donne un coup de pied dans l'œil, puis continue mon ascension, le bouclier d'Athéna accroché derrière mon dos.

J'atteins enfin le sommet de la falaise, la respiration haletante, alors que mon bras blessé par le croc d'Hélios me brûle. Je m'élance alors jusqu'au rebord de la falaise, et regarde en bas. Les vagues déchainées viennent s'écraser contre les rochers, aspergeant de l'eau rafraichissante jusqu'à mon visage. Là, surgissant de nulle part, apparaît le serpent, qui se trouve à présent à l'endroit exact où je voulais l'envoyer. Je le regarde, comme si je m'attendais à voir encore un soupçon de bonté dans ses yeux. Mais rien de tout cela. Je ne vois que sa haine, et son désir de vengeance.

– Alors, c'est ici que tu choisis de mourir, dit-il.

– Qui te dit que ça sera moi la perdante de ce combat ?

– Tu es seule, et même pas armée. Ne prends pas tes rêves pour la réalité.

– Hélios... On peut encore arrêter tout cela. Discuter calmement, et arranger les choses.

– Si nous étions hier, j'aurais accepté. Mais ce temps est révolu.

– Tu avais encore tellement de temps devant toi pour rattraper tes erreurs. Qui sait, tu aurais même pu trouver le véritable amour. Mais à l'évidence, ton orgueil et ta fierté ne cesseront jamais de prendre le dessus.

– C'est toi qui as tout fait de travers. Tu t'en rends compte maintenant, et tu rejettes la faute sur moi, car tu refuse de voir la vérité en face.

– Es-tu sûr que c'est de moi qu'il s'agit ?

La respiration du serpent s'accentue davantage. Tout en montrant ses crocs, le serpent se jette sur moi. Juste avant de brandir mon bouclier, je souffle une phrase, que je pensais ne jamais lui dire de ma vie.

– Je te pardonne pour tout.

À ces mots, mes doigts agrippent la tête de Méduse,que je retire de son hibernation, et la brandit devant Hélios. C'est alors, queles yeux de la femme serpent se mettent à émettre une lumière blanche. Sabouche s'ouvre, et ses cheveux de vipères s'hérissent. En seulement quelquessecondes, le corps écaillé d'Hélios se change en pierre. Ma tâche a étéaccomplie, à la manière de Persée battant le Kraken. 

Akenna-TOME 2- Le retour du serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant