Chapitre 2

103 6 1
                                    

Il doit être cinq heures du matin, et comme d'habitude, je n'arrive pas à dormir à cette heure-ci. C'est comme si j'étais sans arrêt en décalage horaire, et cela depuis trois ans...

Dans un soupir d'exaspération, je décide de me lever, et d'aller dans la chambre d'Emeïdes. J'aime le voir dormir. C'est l'un des seuls moments où il est calme, paisible, et où il ne pose pas de questions. Malgré ses trois ans, mon fils est déjà très intelligent, et s'intéresse au monde qui l'entoure. Ce n'est pas ce genre de questions qui me dérange, bien au contraire. Seulement parfois, il demande des informations sur son père, sur le fait qu'il ne puisse pas sortir à sa guise, et je le comprends.

Mais dans ces moments-là, je ne sais que lui répondre. Comment lui expliquer que son père est mort à cause de mon ex-mari, qui était fou à lier, et totalement possessif ? De quelle façon lui éclaircir le fait que le laisser aller dehors pourrait permettre à Hélios de le retrouver, pour ensuite me l'enlever ? Il y a des choses, qui ne doivent pas être révélées à un enfant de trois ans à peine, qui ne comprendrait pas la situation. Mais lorsqu'il sera plus grand, je lui expliquerai tout. C'est une promesse que je me fais, arrêter de lui mentir.

J'arrive devant la chambre d'Emeïdes, et ouvre doucement la porte, pour ne pas faire de bruits. Je m'avance à pas de loup, jusqu'au lit où dort mon petit ange. Il est en ce moment même, au pays des rêves, dans les bras de Morphée, à l'abri de la dure réalité. J'aimerais pouvoir dormir autant, moi aussi. Seulement, ce n'est pas le cas. Mes cauchemars finissent toujours par me rattraper, et m'arracher des bras du dieu des rêves. Même lui, ne peut pas lutter contre mon passé.

Je caresse les cheveux blonds de mon fils adoré, tandis que les larmes me montent aux yeux. Ce que je crains par-dessus tout, c'est qu'on fasse du mal à Emeïdes. Si cela venait à arriver, je ne pourrais plus respecter le serment que j'ai fait à ma mère. Il me serait impossible de survivre à une nouvelle tragédie, en particulier lorsqu'il s'agit de mon fils. Si cela venait à arriver, je mourrais, et le rejoindrais dans les Enfers.

Mais même si je me promets de suivre Emeïdes dans la mort, mon plus grand souhait est qu'il puisse vivre. Ce n'est encore qu'un enfant, qui a tellement à apprendre de la vie. Et puis, je veux qu'il connaisse la vérité un jour, toute la vérité. Je souhaite aussi entretenir la mémoire de son père, en lui parlant de lui, en lui racontant comment il me faisait rire, de quelle façon je suis tombée amoureuse de lui, mais aussi à cause de qui il n'est plus de ce monde...

Si je veux réaliser tous ces projets, je ne dois pas me laisser abattre, et continuer à m'entraîner, comme je le fais tous les jours depuis ces trois dernières années. Et puis, cela me permet de me sentir plus proche d'Ectellion. Je dépose un tendre baiser sur la joue de mon fils, et le laisse dormir en paix.

Je traverse à présent les couloirs, sombres et froids, où seuls mes pas résonnent sur le sol. Mon ombre se déplace parmi les murs, tel un fantôme poursuivant sa quête, pour rejoindre l'au-delà. J'arrive devant la salle d'entraînement. Cette pièce où seuls les glaives et les arcs vivent. Ils somnolent paisiblement, jusqu'à ce que des services leurs soient demandés. Je choisis une arme au hasard, et me place au centre de la salle, là où il y a le plus d'espace.

J'empoigne un bouclier, et le place devant moi, tout en fléchissant légèrement les genoux. J'ai pris soin de m'attacher les cheveux, pour ne pas me faire de nouveaux ennemis. Ils seraient capables de me cacher les yeux, avec leurs doigts d'or. J'adopte par la suite, mon regard de tueuse, comme me l'avait appris Ectellion. Tout se joue dans le regard pour déstabiliser. Lui montrer notre confiance, suffit pour lui faire perdre la sienne. D'un coup de glaive, je blesse mon adversaire imaginaire. Avec mon bouclier, je stoppe la frappe de mon ennemi, et le repousse pour le déséquilibrer. Le voilà en défense, le moment pour moi d'attaquer de nouveau. Je saute sur le côté, comme si je passais sur son dos, alors qu'il se baisse, et pénètre mon glaive dans sa gorge, sans aucune pitié.

– Tu as gagné contre ton adversaire imaginaire, à ce que je vois.

Je souris, en reconnaissant la voix qui s'adresse à moi. Je me tourne vers le nouveau venu, et pose mon glaive sur mon épaule.

– Bonsoir, Hypérion.

– L'imaginaire est un piètre adversaire, tu sais.

– Alors que proposes-tu ?

– Un petit combat singulier, rien qu'entre toi et moi.

Je souris de malice. Il est vrai qu'un véritable adversaire sous mes yeux, me permettrait d'améliorer nettement mes mouvements. En particulier, lorsqu'il s'agit d'Hypérion, le chef de la garde royale, un grand ami du roi, mais aussi un guerrier redoutable. Je le considère comme un ami. Il est souvent de bon conseil, et il est adorable avec Emeïdes.

– J'accepte avec plaisir, dis-je en me remettant déjà en place.

Hypérion laisse échapper un petit sourire, alors qu'il déteste dévoiler ses émotions. Il trouve que cela traduit notre faiblesse, mais je ne suis pas de son avis. Le chef de la garde se place en face de moi, et son regard se braque en ma direction. Au fur et à mesure des secondes qui s'écoulent, ses prunelles se font plus insistantes, plus attentionnées. Cela me déstabilise, car j'ai l'impression de revoir Ectellion et ses beaux yeux noisette. Je me souviens de son regard, la première fois que je me suis battue contre lui. Cette image ne s'effacera jamais de ma mémoire...

Hypérion porte le premier coup, mais je l'esquive en tournant sur le côté. Mon adversaire, ne s'attendant pas à une réaction aussi rapide de ma part, manque de tomber au sol. Il me lance un regard noir, et tente de me blesser de nouveau, mais mon pied rencontre son visage, et le pousse avec fermeté. Cette fois, le chef de la garde s'écroule au sol, et je me penche sur lui, pour placer mon glaive près de sa gorge, un grand sourire aux lèvres.

– Le combat est déjà terminé ? Je m'attendais à de plus grands efforts de ta part.

Hypérion sourit, alors qu'il pousse mon glaive du doigt. Il se met d'un coup à tirer sur le bas du tissu de mon chiton, et je tombe sur lui, dans un hoquet de surprise. Alors que j'allais lui crier dessus, il attire mon visage près du sien, et m'embrasse avec ferveur. Je le frappe pour qu'il me lâche, mais malgré le fait que je sois au-dessus de lui, Hypérion continue de me dépasser en force.

Je lui donne alors un violent coup de genoux dans l'estomac, ce qui coupe la respiration du chef de la garde, qui finit par me lâcher. Je me relève d'un bon et pars en courant vers l'extérieur, sous les appels désespérés d'Hypérion. Comment a-t-il pu faire ça ? Je ne veux pas qu'il m'aime. D'ailleurs je ne veux plus jamais que personne ne tombe amoureux de moi. Cela ne ferait que le mettre en danger, tout comme moi...

Akenna-TOME 2- Le retour du serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant