Chapitre 15

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Je m'agenouille devant l'autel, et ferme les yeux. Ce geste est devenu habituel, mécanique, ce qui me permet de plus me concentrer sur mes pensées que sur la position à adopter. Pour moi, venir au temple d'Athéna, c'est bien plus que quémander sa protection, c'est comme une évasion. Je suis seule, face à moi-même, ce qui fait que je n'ai pas à faire attention à mes gestes, ou aux paroles que je peux prononcer.

Malgré le fait que mon histoire reste dessinée, avec chacun des évènements ayant provoqué mon malheur ou mon bonheur, un coup de gomme vient effacer les éléments de mon choix. Je ne pense plus à mes pleurs passés, ni à mes envies. Tout est derrière moi, enfermé dans une cage dont moi seule détiens la clef.

Je suis peut-être libérée de mes fardeaux, mais ce n'est qu'un court moment de répits. Parfois, j'aimerais allumer un feu, et les voir se calciner sous mes yeux. Quelle satisfaction on doit ressentir dans ces moments-là. Au moindre évènement pénible, il suffit de le brûler pour qu'il disparaisse. Le feu serait aussi grand qu'un chêne si je devais consumer tous mes malheurs. C'est un sentiment pervers, mais peu importe. Je préfère avoir de sombres pensées, plutôt que de devoir me plaindre de mes fardeaux.

Dans un soupir, je me lève et quitte le temple. Mon voile sur la tête, je quitte l'enceinte du bâtiment de prières et me dirige vers le palais. Un léger sourire flotte sur mes lèvres, lorsque mes pensées s'égarent vers Ectellion et Emeïdes, qui doivent passer un bon moment tous les deux. Ils en ont besoin pour apprendre à mieux se connaître. Pour mon fils, son père n'est qu'un étranger, ce qu'Ectellion peut comprendre. Mais il finira par l'aimer, tout comme son père le porte déjà dans son cœur.

J'allais franchir les portes du palais, mais je suis tirée à l'écart par une poigne ferme. Me voilà coincée entre deux colonnes, le dos appuyé contre l'une d'elles. Hypérion me fait face, le visage rongé par la colère, sa main gauche broyant mon poignet.

– Tu me fais mal, me plaignis-je.

– Et toi, tu crois que je ne ressens aucune douleur en ce moment ?

– De quoi parles-tu ?

– Tu m'avais dit qu'il était mort Akenna !

Son emportement provoque une pression supplémentaire sur mon poignet, qui souffre davantage. Sa colère démesurée commence à me faire peur.

– Pourquoi ne réponds-tu pas ? poursuivit Hypérion. Tu te sens tellement coupable que tu ne trouves aucune excuse, n'est-ce pas ?

– Pas du tout. Je ne t'ai jamais menti. J'étais certaine qu'il était mort.

– Ah oui ? Et bien on dirait qu'il est revenu d'entre les morts. Le grand Ectellion, revenu des Enfers pour retrouver sa bien-aimée, tel Orphée.

Son ton enjoué et moqueur fait monter ma colère. Sa jalousie est inexpliquée et totalement déplacée. Je n'ai pas besoin de cela. Je me débats pour m'enfuir, mais Hypérion resserre sa poigne, jusqu'à ce que ses ongles s'enfoncent dans ma peau. Je grimace de douleur, sous le regard noir ébène du chef de la garde.

– Laisse-moi, s'il te plaît, implorai-je.

– Pourquoi ? Pour le rejoindre ?

– Je veux m'en aller.

– Non, tu restes avec moi. On n'a pas terminé notre conversation.

– Alors on peut parler, mais calmement, je t'en prie.

– Comment veux-tu que je me calme ?!

Je sursaute, face à son nouvel emportement. Je savais qu'Hypérion avait la colère facile, mais pas à ce point. Discuter avec lui, c'est impossible. Il ne sait que crier et blesser.

– Tu as peur de moi ? demanda le chef de la garde en se radoucissant.

– Oui.

Dans un soupir d'agacement, Hypérion dégage mon poignet, que je masse immédiatement.

– J'ai tout fait pour toi, dit le chef de la garde. Je t'ai soutenue, écoutée et consolée. Depuis ton arrivée à Athènes, je n'ai d'yeux que pour toi. Quant à Emeïdes, tu sais très bien que je suis prêt à le considérer comme mon fils.

– J'en ai conscience. Et je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. Seulement...ce n'est pas pour cela que j'ai des sentiments pour toi.

– Ça aurait pu marcher si Ectellion n'était pas revenu.

– Son arrivée n'a rien à voir avec mes sentiments. Avant son retour, lorsque tu m'as avouée ton amour, je t'ai répondu que je lui resterai fidèle, qu'il soit vivant ou mort.

– Qu'est-ce qu'il a de plus que moi ?

– Il n'a rien de plus que toi. Tu as tes qualités et tes défauts tout comme lui. Seulement, ce ne sont pas les mêmes. Nous n'avons pas tous les mêmes goûts pour le caractère des autres. Un jour, tu trouveras une femme qui t'aimera comme tu es Hypérion. C'est tout le mal que je te souhaite.

– Mais c'est toi que je veux.

– Peut-être, seulement ce n'est pas réciproque. Je suis désolée.

– Non, c'est moi qui le suis. Je pensais que tous mes efforts finiraient par payer, mais tu n'as fait que profiter de mes soins. Tu m'as brisée Akenna, mais je te promets une chose.

Son visage se rapproche du mien, assez près pour que je me sente son souffle contre ma joue.

– Je me vengerai, poursuivit-il.

Sur ce, le chef de la garde royale s'éclipse, les pieds tambourinant contre le sol. Il frappe la terre d'une telle force, que je suis certaine qu'Hadès peut l'entendre depuis les Enfers.

Je soupire de soulagement, puis me hâte de renter au palais, au cas où Hypérion déciderait de revenir m'intimider. Je repense alors à sa menace. Le chef de la garde a le don de toujours tenir ses promesses. C'est un homme d'honneur, mais souvent déstabilisé par son orgueil. Malgré cela, je reste confiante. Il ne fera rien pour me nuire. C'est une bonne personne, qui ne ferait pas de mal à une mouche, j'en suis certaine. J'ai confiance en sa générosité.

Ne nous rajoutons pas un nouveau souci en tête, alorsqu'elle sature déjà de mes traumatismes passés. Hypérion n'est pas une menace,loin de là. Son amitié m'épargnera, car il n'est pas Hélios. Contrairement àlui, il n'est pas prêt à tuer pour obtenir ce qu'il veut...du moins, je l'espère.

Akenna-TOME 2- Le retour du serpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant