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ZOÉ piétine dans la terre, bousculant un caillou du bout de sa Doc Martens.

– Tu penses qu'Irina a trouvé Amélie ? demande la petite voix de Mia.

– Sûrement.

La rouquine étouffe un bâillement, lève les yeux pour croiser le regard de la brune, qui s'empresse de les détourner. Cette timidité, cette pudeur, fait immédiatement monter en elle des envies de taquineries.

– A moins qu'elles se soient faites choper par le fantôme de l'école, ajoute-t-elle, sourire en coin.

– Le fantôme ?

Inconsciemment, Mia se rapproche de la jeune fille ; dans un coin de sa tête, cette dernière note que sa camarade doit avoir peur du surnaturel. Elle commence déjà à préparer des plans pour la terrifier encore plus, son espièglerie ne connaissant jamais de repos.

Pourtant, elle finit par hausser les épaules. Dans une autre situation, elle aurait peut-être insisté. Mais les yeux chocolats écarquillés par la peur ne la font pas rire. Au contraire.

– C'était une blague.

– Oh.

De nouveau un silence gêné, alors qu'elles évitent consciencieusement de se regarder. Les yeux de Mia sont tournés vers les arbres, au loin ; Zoé fixe ses chaussures, qu'elle recouvre de terre.

– Tu penses qu'on va aller dans la forêt ? reprend soudainement la jeune vietnamienne.

– Tu me demandes de beaucoup penser ce soir.

Haussement d'épaules et regards fuyant. Zoé fronce les sourcils en l'observant.

– Peut-être... pourquoi ?

– Je sais pas... j'ai... enfin, ça va te paraître ridicule.

– Dis toujours.

– J'ai peur.

– Des fantômes ? J'avais cru comprendre.

Elle ricane, sans penser à mal, plus par instinct que réelle méchanceté. Elle a toujours été comme ça, la jeune fille, parlant avant de réfléchir, l'esprit constamment en ébullition, elle-même incapable de mettre de l'ordre là-dedans. Elle a l'habitude d'avoir Cloé comme interlocutrice, avec ses réparties épicées et son auto-dérision fulgurante. Mais ce n'est pas avec sa meilleure amie qu'elle parle. Et les réactions de sa camarade sont à l'exact opposé.

Au lieu d'en rire ou de rétorquer, Mia se contente de rentrer la tête dans les épaules.

– Oui, bon, pardon, soupire la rouquine. Tu disais quoi ?

– J'ai peur de la forêt, reprend son interlocutrice, avec hésitation.

– Pourquoi ?

– Je sais pas !

Elle s'exclame, paraît honteuse, le regard toujours fuyant et les joues rosées. D'un geste assuré, Zoé se rapproche d'elle. Elle peut se moquer, mais n'a néanmoins pas pour habitude de frapper une personne déjà à terre. C'est plus humiliant qu'autre chose et elle n'est pas cruelle à ce point.

– Tu veux connaître mon secret à moi ?

Cette fois, les yeux de Mia se braquent sur elle, pourtant elle ne dit pas un mot. Alors Zoé enchaîne, prenant son silence pour une approbation.

– Je sais pas si y a ça aussi pour vous, mais on a un système de tutorats pour les premières années... on m'a obligée à intégrer le programme et c'était Amélie ma tutrice. Elle m'a un peu tout montré, elle était cool à cette époque. J'avais même un crush sur elle. Mais c'était avant qu'elle devient conne.

Silence de l'autre côté ; puis un murmure amusé.

– C'est pas un secret honteux ça.

– Bah, ça reste Amélie...

– Justement.

– Tu lui en veux pas malgré tout c'qu'elle t'a dit ?

– Non.

– Franchement, t'es trop gentille. Ou alors attends. C'est parce qu'elle est belle, c'est ça ? On pardonne tout aux gens beaux, c'est chiant.

Cette fois, Mia éclate de rire ; et passé la surprise initiale, Zoé apprécie le moment. Parce que l'adolescente a un rire si particulier, un peu aigu, un peu étouffé et pourtant si expressif, comme si elle en oubliait soudainement toute sa timidité.

Pourtant, Zoé ne montre rien de ce que cet épanchement éveille en elle. Elle se contente de secouer la tête, faussement énervée.

– Quoi ? C'est vrai !

– Mais toi aussi t'es belle.

– N'importe quoi.

– Mais si...

– N'essaie pas de m'amadouer, vile créature.

Cette parodie de dispute la fait sourire, même si elle ne masque pas l'honnêteté de ses paroles. Loin de se trouver laide, Zoé ne se considère pas non plus comme une beauté. Elle sait ses yeux trop globuleux, accentués par ses lunettes rondes, elle sait son nez trop proéminent, ses cheveux trop abîmés. Bon, sur ce dernier point, elle ne peut rien dire ; ses teintures à répétition sont loin de faire du bien à ses mèches, pourtant elle ne peut pas s'en empêcher. Elle déteste sa petite taille, aussi, et ses membres chétifs. Ce qui n'empêche pas Mia de lui paraître si sincère, dans ses compliments. La rouquine n'est pas dupe pourtant, sa camarade doit être du genre à trouver tout le monde beau ; mais sa candeur est touchante, alors elle décide de passer au-dessus.

La conversation close, elle reprend son occupation principale, donnant de nouveau coups de pieds dans la terre. Elle observe du coin de l'œil Mia resserrer les pans de sa veste autour d'elle et remonter son écharpe jusqu'à son nez. Zoé sourit, contente de n'avoir jamais froid. Sa chaleur corporelle s'adapte instantanément à la fraîcheur extérieure, lui permettant de se balader en tee-shirt en plein hiver.

Pendant quelques secondes, elle envisage de proposer à la jeune fille de la réchauffer, quand la voix de Brunet retentit derrière elles.

– C'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

Elle se retourne dans un sursaut et aperçoit leur enseignante, accompagnée d'Irina et Amélie. Sans les attendre, l'adulte prend le chemin de la forêt et Zoé la suite, regardant Mia à la dérobée. Elle espère que celle-ci ne se sente pas trop mal. Inconsciemment, elle tend les doigts, prête à lui prendre la main, mais se retient de justesse. C'est trop cucul et un peu indécent, aussi. Mais surtout particulièrement étonnant, venant d'elle. Elle a pourtant pour habitude de refuser les marques d'affection, n'acceptant que les contacts de Cloé.

Mais avec Cloé, c'est différent, se dit-elle, parce que c'est Cloé, que ça fait des années maintenant qu'elle lui sauve la vie au quotidien ; et qu'en contrepartie, elle peut bien tout lui accorder.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant