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MIA sait bien que sa peur de la forêt est irrationnelle, pourtant elle n'y peut rien ; elle ne parvient pas à s'empêcher d'imaginer toutes les bêtes tapies dans l'obscurité. Ça ne lui paraît être qu'un piège mortel dans lequel la petite troupe s'engouffre pourtant sans une hésitation.

Brunet sort d'un de ses sacs des lampes torches, qu'elle leur tend.

– On va où ? demande Zoé.

– Pas de questions.

Les yeux de la rouquine se lèvent et Mia se rapproche d'elle, par automatisme. Elle se sent étrangement plus en sécurité, sous sa supervision, comme si elle pouvait véritablement compter sur sa camarade pour la protéger. Ce qui est peut-être le cas, se dit-elle.

Elle se mord la lèvre, resserrant une nouvelle fois sa veste autour d'elle. Elle a froid, inutile de nier, se félicite pourtant d'avoir opté pour un vêtement fourré. Mia a toujours froid, de toute manière, c'est une règle immuable ; c'est celle qui sort déjà son manteau en automne, pour arborer sa plus grosse parka dès que les températures commencent à trop chuter. Souvent, elle se maudit pour sa faible constitution, encore plus quand elle finit immanquablement par tomber malade.

Son cœur s'arrête de battre quand elle aperçoit, du coin de l'œil, Zoé esquisser un pas vers elle. Incapable d'empêcher les pensées de surgir dans sa tête, elle s'imagine tout un tas de scénario, tout un tas de raisons. Elle finit par opter pour la simple coïncidence, le geste accidentel, mais surtout fortuit et malheureux. Ça ne veut rien dire. Ça ne veut jamais rien dire.

La tête dans les nuages, elle sursaute quand Brunet s'arrête enfin. Elle tourne la tête d'un côté, puis de l'autre, les yeux écarquillés. La clairière dans laquelle se trouve maintenant la petite troupe brille d'une belle lueur bleutée, presque féerique. Elle parvient à oublier sa peur, soudain émerveillée. Qui aurait cru que la forêt pouvait cacher une telle beauté ?

– Ça, leur lance Brunet en attrapant quelque chose du bout des doigts, est un champignon de lune. J'en aurai besoin pour nos cours, demain. Vous voulez bien m'aider, n'est-ce pas ?

Si son ordre se déguise en question, il n'en reste pas moins un ordre ; les filles obtempèrent sans un mot. Elle leur distribue des sacs, avant de s'éloigner à petits pas, pour se pencher vers les racines d'un arbre.

Mia s'accroupit, admirant un de ces fameux champignons de lune. D'une couleur presque translucide, il s'illumine pourtant d'une magnifique couleur azur. Elle tend un doigt, frôle le végétal et s'écarte brusquement, comme électrocutée. Pourtant, elle n'a pas mal, craint juste de l'abîmer. Elle observe sa peau, presque déçue en l'apercevant aussi nu que quelques secondes auparavant. Comme si rien n'était arrivé. Elle soupire, puis, imitant ses camarades, commence la cueillette. Aucune d'entre elles ne semble aussi subjuguée qu'elle-même ; elle en vient à se demander s'il n'y a qu'elle, pour toujours s'émerveiller des fantaisies du monde magique. Peut-être sont-elles déjà venues ici, aussi. Mia en aurait doué, la forêt étant interdite d'accès la nuit tombée, si elle ne commençait pas à connaître les autres élèves.

Elle se questionne, le nez plongé dans ses champignons. Et si sa peur ridicule l'avait empêché de découvrir d'autres merveilles ? Mia s'est toujours empêchée de vivre, elle le sait, mais ne fait que le constater ce soir-là.

Avançant en canard, toujours accroupie, elle se dirige vers Zoé sans vraiment en avoir conscience.

– Hé, c'est ma zone ici ! lance cette dernière.

La tête basse, Mia s'écarte. Elle ne peut néanmoins pas s'empêcher de sourire quand sa camarade éclate de rire. Prise dans un élan incompréhensible, l'adolescente tend le bras en direction d'un champignon. Instantanément, elle sent les fourmillements de magie remonter le long de son bras, former dans l'air sa main invisible, faite de volutes de fumée, qui s'agrippe au végétal pour l'arracher sans ménagement du sol et le lancer sous le nez de Zoé.

– Pratique, rétorque Irina, qui n'a rien raté de la scène.

Son intervention attire l'attention d'Amélie ; elles sont donc trois à observer la brune, quand elle lève la main à son tour. A deux pas d'elle, le sol se met à vibrer, tremblement contrôlé dans une zone délimitée, qui finit en apothéose quand la terre se scinde pour éjecter une grappe de champignons.

– Ça aussi, c'est pratique, reprend-elle avec un sourire satisfait.

Instantanément, l'esprit de Mia s'échauffe ; elle agite les doigts, provoquant une légère bourrasque qui fait voleter leurs cheveux, avant de s'abattre sur le parterre. Les champignons volent dans tous les sens dans une gerbe de terre, sous les éclats de rire des filles. Par chance, Brunet se retient d'intervenir ; probablement est-elle satisfaite tant qu'elles exécutent leur tâche.

– Moi aussi j'peux le faire, lâche Zoé. J'vais cramer cette forêt.

Elle lève la main, menaçante.

– Non mais ça va pas ?

C'est la blonde qui intervient, cette fois, et Zoé laisse retomber son bras le long de son corps.

– C'est bon, c'était une blague.

– T'es une firester ?

La question tombe comme un cheveux sur la soupe ; les joues de Mia se colorent de rouge, quand elle prend conscience de son indiscrétion. Pourtant, loin de s'en formaliser, Zoé se contente de hausser les épaules. Son regard, mauvais, est toujours tourné vers Amélie.

– Ouais, ça se voit pas ?

– C'est vrai que t'es un cliché, répond la blonde.

– Moi au moins j'ai pas honte de mes origines.

– Moi non plus !

– C'est pour ça que tous tes amis sont dans d'autres bâtiments ?

– Pas tous.

– Sarah ne compte pas.

– Tu m'énerves.

La rouquine ouvre la bouche, prête à rétorquer, mais c'est le soupir excédé d'Irina qui la convainc de lâcher le morceau. Mia tente un regard en direction d'Amélie, qui ne semble plus se préoccuper d'elles. La brune s'inquiète un peu, se rappelant du retour de la blonde, mais surtout de ce visage pâle et ces yeux rougis. Elle se demande ce qui s'est passé, dans ces toilettes, mais sait qu'elle n'osera jamais poser la question. Elle est trop timide pour aborder le sujet, de toute manière. Les deux jeunes filles n'ont rien dit ; alors elle se contient.

Chacune reprend sa tâche, ramasse les champignons pour les laisser retomber dans leurs sacs respectifs. L'acte est automatique, mais Mia sourit quand Zoé se glisse à côté d'elle.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant