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AMÉLIE s'ennuie. Élève n'ayant aucun penchant pour le travail, le camoufle sous une attitude habituellement sage et attentive. Depuis toujours, elle veut travailler avec les enfants, ayant éprouvé très tôt une affection pour ces petits êtres. Elle n'en est pour autant pas sûre ; préférerait amplement passer le reste de sa vie à lambiner, comme si elle n'avait pas besoin de gagner sa pitance. Si elle avait le hcoix, elle passerait le restant de ses jours à voyager. Elle sait que certains ont réussi à en faire leur métier, que ce soit en répertoriant les animaux magiques ou les plantes. Cette deuxième option l'intéresse bien plus, elle a pourtant peur que ce ne soit pas pour elle. Et quitter ses parents comme ça ? Jamais ils ne l'accepteraient. Ils auraient bien trop peur pour sa vie.

Attrapant le dernier dernier champignon, elle se décide à rompre le silence de la salle.

– Vous voulez faire quoi plus tard, les filles ?

Instinctivement, elle dirige son regard vers sa voisine. Après tout, si cette dernière a choisi l'option politique du monde magique, elle doit avoir un objectif. Pourtant, la brune se contente de hausser les épaules.

– Tu veux pas bosser dans la politique ? insiste Amélie.

– Si, si.

– C'est cool. Et vous ?

A son plus grand étonnement, Zoé prend la parole en première. Sa voix est dénuée de l'animosité qu'elle lui crache au visage depuis le début de la soirée — une attitude pour le moins suspecte.

– Dans la photo, j'aimerais bien, lâche-t-elle avec détachement.

Instantanément, Amélie se redresse, délaissant ce qu'elle était en train de faire.

– Sérieux ? Je savais pas ! Tu voudras me prendre en photo ? Non, attends. Tu veux me prendre en photo ?

– Non.

– Mais allez, ce serait cool ! J'essaierai d'être une bonne modèle.

– Bof.

La blonde lève les yeux au ciel, révoltée devant l'attitude de sa camarade.

– Bon, reprend-elle, acide. C'est vrai que ça doit pas être une partie de plaisir de t'avoir comme photographe.

– Si c'est avec toi, c'est sûr.

Loin d'aboutir à une dispute, elles concluent leur conversation par un sourire. L'une avec espièglerie et provocation, l'autre avec naturel et sincérité. Les deux femmes pourtant si différentes l'une de l'autre sont parvenues à un accord, ce qui ravit le cœur de la blonde. Il lui reste pourtant l'étape la plus importante, celle de comprendre ce qui a bien pu brider leur amitié. Et elle sait pertinemment que ce ne sera pas de tout repos.

– Et toi, Mia ? reprend-elle, soudainement.

– Je... je sais pas trop.

Son hésitation pousse Amélie à pencher légèrement la tête sur le côté, observant sa camarade pour analyser sa réaction.

– Allez, je suis sûre que tu sais.

– Bah... j'adore les animaux et...

– Tu veux devenir soigneuse ? l'interrompt-elle, subjuguée. C'est trop cool ! La dernière fois on a visité une clinique pour animaux magiques, avec ma famille. C'était pas calme mais qu'est-ce que ça avait l'air intéressant !

– Euh... pas les animaux magiques, non...

– Quoi ?

– J'aimerais être dans une clinique vétérinaire... classique.

La remarque a le mérite de prendre l'adolescente par surprise. Elle ouvre la bouche, puis la referme, sans qu'aucun son ne s'en échappe. En face, Mia rougit, ne sachant pas où se mettre — au lieu de la rassurer, la blonde ne parvient qu'à laisser planer dans la pièce un silence gêné.

Elle n'a aucune idée de la réaction qu'elle est censée avoir. Certains sorciers décident de dédaigner leur patrimoine pour travailler avec les humains, mais... Amélie n'a jamais compris pourquoi. Leur héritage lui paraît si éblouissant, si fantastique. Qui voudrait l'abandonner ?

Non, décidément, elle ne comprend pas. Et son mutisme prolongé ne fait qu'accroître la tension.

– Au pire, elle fait c'qu'elle veut, intervient subitement Zoé.

– Oh, bien sûr, je dis pas le contraire, répond la blonde.

– Tu juges.

– Je comprends pas, c'est tout.

– On te demande pas de comprendre, en fait.

Mia suit la conversation sans y prendre part, le regard timide. Quand elle croise les yeux d'Amélie, son premier instinct est de baisser la tête. Elle observe ses mains, tire un peu sur son tee-shirt, puis croise les bras sous sa poitrine, créant une barrière entre les filles et elle. Et ne fait que prouver sa fragilité une fois de plus.

– Amélie, on a bientôt fini, dépêche-toi.

Le discret rappel à l'ordre d'Irina détourne l'attention de la blonde qui, sans un mot de plus, se met à couper le dernier champignon. Elle sait son attitude pour le moins inappropriée, ne devine pourtant pas qu'elle devrait sûrement s'excuser. Ou au moins dire quelque chose ; une petite blague, peut-être, pour détendre l'atmosphère.

Elle pose les derniers bouts sur la pile, que Mia s'empresse de déplacer en lieu sûr.

Quand Amélie croise le regard de Zoé, elle ne sait pas quoi en penser. Alors, au lieu de réfléchir, elle se lève d'un bon pour aller jusqu'à son sac, abandonné dans un coin. Elle récupère son téléphone et, ignorant les quelques messages qu'elle a reçu, lance sa playlist du moment. Elle monte le son au maximum, sourit à la cantonade.

– On a fini, ça se fête, non ?

Elle trottine jusqu'à la table, pour commencer à piocher dans les confiseries.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant