IRINA est exaspérée.
Elle n'écoute la dispute d'Amélie et Zoé que d'une oreille distraite, mais dans sa tête, les mots tournent en boucle. Ceux de la blonde à ses côtés, mais également ceux de Claire. Elle se demande comment c'est possible d'être à ce point hors de tout, pour penser que l'esclavage est une blague, une expression pour s'auto-apitoyer ou pour insulter les autres. Elle les déteste et sa haine flamboie dans son esprit comme un feu ardent. Elle ne peut plus faire comme si ce n'était qu'un cas isolé, comme si ce n'était pas grave. Parce que c'est bien réel. Et elle enrage.
Elle passe une bassine à Amélie, avec impatience, une violence involontaire qui témoigne de sa mauvaise humeur. La blonde lui adresse un regard étonné, mais elle secoue la tête, le visage fermé. Si elle a tendance à ne pas laisser passer les commentaires les plus inacceptables, elle a aussi appris qu'elle n'était pas toujours obligée d'expliquer. Parce qu'elle n'a ni la patience, ni l'énergie.
Derrière elles, de l'autre côté de la pièce, Brunet ne daigne plus faire attention à elles, les laissant chuchoter à leur guise. Elle semble moins sévère que ce à quoi l'adolescente s'attendait, ce qui la satisfait très bien ; bien qu'elle aurait préféré souffrir mille tortures plutôt que d'être ici. Parce qu'elle le sait, ce qui s'est passé aujourd'hui sera noté dans son dossier, comme une tâche indélébile dans son parcours jusque là parfait. C'est sa dernière année au pensionnat, après elle devra partir. Et si elle désire ardemment devenir présidente du monde magique, ou en tout cas occuper un poste de choix dans le gouvernement, elle se demande si la bagarre n'en constituera pas un frein. Qui veut d'une brute à la présidence ? Elle le sait, c'est comme ça qu'on la verra, dorénavant. Comme la sauvage qui a tabassé sans aucune raison une pauvre innocente. Et même si elle s'est retenue d'utiliser la magie, privilégiant ses poings pour éviter l'exclusion ferme et définitive, elle sait que ça ne changera pas l'histoire. Au contraire.
Elle pousse un soupir et s'attire de nouveau l'attention d'Amélie.
– Ça va ?
– Oui.
– T'es sûre ?
– Oui.
Elle retient de peu un fous-moi la paix acerbe, ne voulant pas s'attirer plus d'ennui. Mais Zoé n'a pas sa retenue.
– Ça, ça veut dire que tu la fais chier.
– Pardon ?
– Oui, on te pardonne.
– Arrête de parler au nom de tout le monde !
Son masque de princesse parfaite se fissure sous la colère. Elle perd son sourire poli, son attitude attentionnée. Si Irina n'a aucune idée de la relation qui lie les deux jeunes femmes, il lui paraît évident maintenant qu'elles ont un passif. Ou alors, Zoé déteste juste les filles comme Amélie, bien trop propres sur elles, que tout le monde aime et vénère et qui en tirent une prétention et un narcissisme agaçant. Les filles à des années lumières d'elle-même.
C'est peut-être le cas, oui. Irina, elle, préfère ignorer, passer au-dessus. Elle n'attaque que quand on s'en prend directement à elle ou à ses origines. Pour le reste, elle n'en a cure. Contrairement à Zoé, elle veille à ne jamais être dans l'agressivité gratuite. Ça vient peut-être aussi du fait que de sa part, la moindre erreur peut lui être fatale.
Avant même qu'aucune d'entre elles n'en aient conscience, Brunet se glisse dans leur dos.
– Votre conversation paraît tellement passionnante, est-ce que je peux participer ?
Toutes se figent, prises la main dans le sac, sauf Zoé, dont l'attitude revêche la pousse à affronter le regard de l'enseignante.
– Excusez-nous madame, lâche Amélie, conciliante. Ça n'arrivera plus.
– Effectivement.
Son ton est glacial, ce qui n'est pas sans rappeler Mordant. Irina en a des frissons dans le dos. Elle s'est toujours méfiée d'elle, de ses éclats autant que de ses moments de calme. Brunet est comme l'eau qui dort, dont la violence, en cas de tempête, peut être dévastatrice.
– Mesdemoiselles Lédée et Rivière, suivez-moi.
Le regard paniqué d'Amélie croise celui, faussement neutre, de sa camarade qui sans attendre, suit les traces de Brunet.
– Bon débarras, marmonne Zoé.
Pendant une seconde, Irina se demande si elle est la seule à l'avoir entendu. C'était sans compter l'ouïe de l'adulte qui ne se manifeste visiblement qu'aux moments les plus délicats.
– Je reviens dans dix minutes, mademoiselle Maybon, je compte sur vous pour avoir terminé d'ici là.
Zoé a au moins la décence de paraître gênée. Elle détourne le regard, se remet à la tâche et Irina ne peut retenir un sourire.
Le trio finit par sortir sagement de la pièce, sans un mot de plus. Le silence de Brunet met l'étudiante mal à l'aise, mais elle retient sa langue. Elle saura en temps voulu et sait être patiente quand il le faut. C'est à dire bien trop fréquemment pour son bien. Amélie est toute aussi silencieuse et elle se sent chanceuse de se retrouver avec la blonde et non la rouquine aux paroles acérées.
Leur professeure finit par les abandonner devant la cantine, glissant des sachets dans leur main.
– Il faudra déposer ça dans la cuisine. Profitez-en pour récupérer votre repas. Pour vous et vos petites camarades, évidemment.
Elle tourne les talons. Pas un mot de plus, pas une explication. Irina devrait s'y habituer ; la soirée ne fait que commencer.
![](https://img.wattpad.com/cover/205641584-288-k379590.jpg)
VOUS LISEZ
Collées
Roman pour AdolescentsZoé a tagué, Mia était là, Irina s'est battue, et Amélie a volé. Quatre histoires différentes, qui se mêlent et se recoupent jusqu'à n'en former plus qu'une en cette fraîche soirée aux relents de magie.