19:03

92 7 3
                                    


MIA observe ses camarades, légèrement en retrait. Aujourd'hui plus qu'habituellement, elle a l'impression de faire tâche. Toutes sont là pour une raison bien précise, elle n'est qu'une erreur de parcours. Toutes sont magnifiques à ses yeux, elle se sent encore plus laide qu'avant.

Brunet se lève et, à la seconde où la porte se referme derrière elle, Zoé se laisse tomber sur une chaise. Elle étend ses jambes, la tête rejetée en arrière. Mia se surprend à tendre instinctivement la main, prête à rattraper les lunettes rondes de sa camarade, mais celle-ci se redresse à temps. Elle darde sur Amélie un regard venimeux et Mia se demande une nouvelle fois pourquoi une telle inimitié entre les deux étudiantes.

– Elle a pas le droit de nous faire travailler comme ça, marmonne la blonde.

– Elle a tout les droits en fait, rétorque immédiatement Zoé.

– Et pourquoi ça ?

– Parce que c'est une dictatrice, je l'ai toujours dit.

Ses paroles, agrémentée d'un soupçon de venin, semblent témoigner de la force de l'habitude. Ce n'est certainement pas sa première colle.

– C'est pas une raison pour nous traiter comme des esclaves quand même, reprend Amélie.

Mia ne l'aurait pas cru si véhémente, elle qui paraît si sage au premier abord, mais ne semble pas aimer se faire marcher dessus. Ses cheveux brillent plus que jamais dans les derniers rayons de soleil, l'entourant d'un halo doré qui ne fait que renforcer son charisme. Elle est sublime et Mia ne peut pas s'empêcher d'être jalouse ; elle aurait désespérément aimé être elle.

Mais elle ne peut pas. Alors à la place, elle détourne le regard, tombe sur le visage si sérieux d'Irina. Elle a les sourcils froncés, les lèvres serrés. Ses nattes, retenues au-dessus de sa tête accentuent les traits de son visage, mettant en avant sa peau lisse et ses yeux si sombres. Elle a la voix grave, presque hypnotique, et Mia se serait volontiers laissée bercer si le ton n'était pas si rageur.

– Parce que t'en sais grand chose de l'esclavage, Amélie ?

L'interpellée écarquille les yeux de surprise, une lueur interloquée dans ses prunelles bleu pâle. Comme si c'était la première fois qu'on la reprenait, la première fois que quelqu'un osait lui tenir tête.

– Euh... C'est une expression.

Elle répond avec un sourire poli, le type de sourire qui se veut amadouant. Le type de sourire, probablement, qui ne fonctionne pas sur Irina. Elle lève les yeux au ciel, visiblement excédée.

– C'est pas les expressions qui manquent.

– C'est vrai, mais je pensais pas à mal.

– Personne pense jamais à mal.

Quand Amélie tente de répondre, le regard courroucé de son interlocutrice l'en dissuade et elle finit par baisser la tête, honteuse. Si tant est qu'elle puisse culpabiliser, alors même qu'elle est persuadée de ne pas être en tort.

La discussion meurt toute seule, les filles reprennent leur tâche, sauf Zoé, qui les observe, les paupières entrouvertes, un léger sourire aux lèvres. Rien, dans son attitude, ne témoigne d'une quelconque envie de les aider. Et, au fond, Mia l'admire. Elle les admire, Zoé et Irina, capables de camper sur leurs positions et d'affirmer leurs opinions, quand bien même le reste du monde serait contre elles. Amélie n'est pas en reste et, pour la énième fois, Mia maudit sa situation. Elle aurait préféré être partout, sauf ici ; même dans le parc, pour un footing. Mais non, elle est là, entourée de ces femmes qui remarquent à peine sa présence et qu'elle se contente d'observer à la dérobée, l'esprit rongé par la jalousie.

Elle essuie les bassines dans un geste automatique, comme un petit robot.

Le retour de Brunet attire son attention, mais aucune de ses camarades ne bronche. A part Zoé, qui se lève comme si de rien n'était, esquisse un sourire à l'attention de l'enseignante et dresse son majeur dès qu'elle est hors de portée. Mia ne peut s'empêcher de sourire, à la fois attendrie et vaguement exaspérée. Zoé apparaît à ses yeux comme un cliché sur patte, celui de l'élève rebelle et indisciplinée, qu'elle a toujours observé dans les livres et les films.

Elle finit par les rejoindre, retrouve sa place aux côtés d'Irina, coulant au passage un regard en coin en direction de Mia, qui se sent rougir. Cette dernière détourne instantanément les yeux.

– Au fait, ça veut dire quoi, au mauvais endroit au mauvais moment ? demande soudainement Amélie, dans un chuchotement.

– Ça veut juste dire que t'es là où t'aurais jamais dû être, répond Zoé, acerbe.

– Je parlais à Mia.

– Et moi je te réponds.

– Pourquoi ? Elle peut parler non ?

– Peut-être qu'elle veut pas te parler.

– Ah bon ?

Amélie écarquille les yeux et, même si Mia sait bien que ce n'est probablement que de la comédie, elle se sent touchée. Parce que la blonde semble presque peinée, quand elle penche la tête sur le côté, son regard si doux fixé sur Mia. Elle est faible, Mia, elle le sait, elle est faible sous la pression, quand on lui accorde de l'attention. Elle a le cœur trop tendre, de celles qui manquent cruellement d'affection, au point d'en grappiller où elle arrive à en trouver.

– Non, chuchote-t-elle.

– Tu m'en veux pas ?

Pour toute réponse, elle secoue la tête, et la blonde se redresse avec un sourire victorieux.

– Traîtresse, lance Zoé.

– C'est à cause de toi que je suis ici, rétorque Mia.

Sa propre répartie la laisse pantoise et elle se mordille la lèvre, prête à rattraper ses mots. Pourtant, sa camarade ne semble pas lui en vouloir ; bien au contraire et son sourire surprend la brune. Avant même de l'avoir contrôlé, son esprit commence à analyser la situation, la réaction, à comprendre ce qui la motive, pourquoi elle est comme ça. A essayer de voir, si elle l'apprécie, ne serait-ce qu'un petit peu. Elle aimerait que ce soit le cas, craint néanmoins de ne se faire que des idées.

Et pourtant... et pourtant elle espère.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant