21:02

78 10 11
                                    

IRINA en a marre. Elle en a marre de cette tension ridicule, de ces messes basses et de ces moqueries. Elle a l'impression d'être revenue au collège ; ce qui n'a pas tellement de sens, parce qu'elle est au pensionnat depuis ses dix ans.

Et pourtant, si au début Amélie l'énervait, maintenant c'est envers Zoé que se tourne son antipathie. La jeune fille, trop rentre-dedans, ne témoigne aucune envie d'enterrer la hache de guerre, contrairement à ce qu'elle a pu dire moins d'une heure auparavant. Les quatre sont coincées ensemble pour la soirée, Irina aurait aimé qu'elles puissent au moins faire semblant de bien s'entendre.

Et puis elle est déçue, aussi ; les étudiantes partageaient un bon moment, pour la première fois depuis le début de la colle. Elles se laissaient enfin aller, dévoilant leurs pouvoirs élémentaires avec un naturel désarmant.

Elle a quand même la satisfaction de constater que la rouquine se plie à son autorité, courbant la tête sans tenter une confrontation. Irina s'est souvent entendu dire que son froncement de sourcils légendaire imposait le respect, elle n'en a néanmoins jamais eu de réelle preuve. Jusqu'à aujourd'hui.

Elle se dresse, soudainement, soulageant son dos courbaturé. Elle relâche son sac, déjà un peu rempli, qui s'écrase avec un choc sourd. Puis, dans un mouvement fluide, elle désigne Mia du menton. Dans son dos, Brunet s'éloigne de plus en plus, son calepin juché sur son bras, ses lunettes sur le bout de son nez, son visage blafard illuminé par une boule lumineuse.

– Mia, viens avec moi. On bouge.

L'interpellée sursaute et lève la tête, comme prise en faute.

– Vous deux, parlez. Y en a assez de vos disputes.

Et, sans un regard en arrière, Irina récupère son sac et s'avance dans les profondeurs de la forêt, prenant grand soin de ne pas trop s'écarter de la clairière. La vue d'ici paraît plus magique encore, les reflets bleutés des champignons se reflétant sur l'écorce des arbres. Certaines feuilles tombées au sol arborent même la belle couleur, comme par contamination.

Toute à son observation, elle ne se tourne pas en entendant des bruits de pas. La jeune vietnamienne se cale à côté d'elle, puis se penche en avant pour reprendre sa tâche. Son souffle est haché, presque douloureux. Elle jette des regards à droite et à gauche, à l'affût. Comme si elle avait peur. Irina penche la tête sur le côté ; elle aimerait lui demander ce qu'elle a, ne sait pour autant pas si elle a l'énergie pour écouter une deuxième confession en si peu de temps. De prime abord, l'adolescente paraît bien plus torturée que la blonde, ce qui laisse présager des blessures un peu trop profondes. Irina ne peut qu'imaginer la vie de sa camarade, sait pertinemment qu'elles doivent en partager une partie. Parce que ses traits asiatiques l'éloignent sans qu'elle le veuille de la majeur partie des autres élèves du pensionnat.

Et puis, dans un froncement de sourcils, Irina en vient à se demande si la jeune fille n'aurait pas peur d'être là, avec elle. Elle se sait parfois intimidante après tout ; alors pour faire un geste, elle décide de la rassurer. Ça, au moins, elle peut le faire.

– Je vais pas te manger, hein.

La fameuse phrase bateau du tonton à sa nièce de cinq ans bien trop timide et terrifiée pour oser l'approcher. Ce n'est pas très subtile, mais rien d'autre ne lui est venu à l'esprit. Mia hoche la tête, elle ne se détend pas pour autant.

– Tu t'inquiètes pour les deux autres ? reprend l'aînée. T'as l'air proche de Zoé.

– Je... je la connais pas vraiment.

– Ah bon ?

– Oui.

Elle rougit légèrement, ce qui fait sourire la brune. Probablement n'a-t-elle pas conscience de son comportement, de ce mouvement instinctif qui la pousse à se tourner vers la rouquine dès qu'il se passe quelque chose. Peut-être est-ce à cause du charisme de leur camarade. Ou peut-être est-ce autre chose, quelque chose de bien plus fort. Irina sourit, ne daigne pourtant pas s'en mêler. Mia s'en rendra bien compte toute seule, ou peut-être pas. Elle n'aime pas se mêler des affaires des autres, quand bien même elle s'est forcée pour, ce soir-là. Elle ne désirait que la bonne entente au sein de ce groupe hétéroclite et bien étrange ; les sentiments de Mia envers Zoé ne la concernent pas.

Elle s'assoit, se servant de ses pouvoirs pour déterrer les champignons et sourit en voyant Mia la compléter, créant des bourrasques pour ramener les végétaux vers elles. Habituée à ne fréquenter que d'autres élèves de son bâtiment, elle apprécie ce travail d'équipe qui la sort de sa zone de confort. Le gain de temps lui paraît également être un avantage non négligeable. Plus vite elles en auront fini, plus rapidement elles pourront rentrer. Et peut-être que l'enseignante acceptera de les relâcher plus tôt que prévu ; Irina se prépare déjà à la nuit blanche qu'elle va s'infliger, pour pouvoir étudier et rattraper ce retard qu'elle est persuadée d'avoir pris. La migraine commence à poindre derrière ses yeux, se propageant dans sa tête avec une violence qui la pousse à se mordre la lèvre.

Elle est fatiguée, la journée a été épuisante et elle ne dort pas beaucoup ces derniers temps. Parce que la peur d'échouer la pousse dans ses retranchements, l'empêche de se laisser aller quand tout ce qu'elle voudrait c'est relâcher la pression. Elle n'a plus le droit à l'erreur, maintenant plus qu'avant. Parce qu'elle a déjà une tâche dans son dossier et qu'elle ne s'autorisera pas à en avoir une de plus.

Instantanément, Mia disparaît à ses yeux, elle en oublie son attitude suspecte pour ne plus se concentrer que sur ses problèmes.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant