IRINA est en premières loges pour voir le visage de Zoé se métamorphoser. Un soupçon de jalousie, probablement, quand elle regarde ses deux camarades danser ensemble. Et la brune s'amuse de cette constatation ; si la rouquine pense être impossible à lire, elle se trompe lourdement. Ses émotions campent sur son visage, quand bien même elles les camouflerait sous cette morgue qui lui semble aussi habituel que ses crises de colère. Aussi impulsive que la plus clichées des firester, elle ne peut pas tromper sur son héritage.
Irina les observe toutes les trois, comme elle regarderait un feuilleton. La musique commence rapidement à lui taper sur le système, au rythme d'une migraine tambourinant derrière ses yeux. Elle n'a qu'une envie ; rentrer au dortoir et dormir. Mais elle sait que c'est impossible. Déjà parce que leur punition n'est malheureusement pas encore levée, mais aussi parce qu'elle va devoir travailler une fois rentrée. Irina n'est pas prête à abandonner son rêve, même si elle s'est laissée faiblir : elle veut se battre jusqu'au bout, n'avoir aucun remords. Elle a toujours été comme ça, dure comme du bois, toute entière tournée vers un seul et même objectif. Elle n'accepte ni compromis ni ralentissements, le regard constamment tourné vers la ligne d'arrivée. Et si elle peut l'atteindre en gardant toute son intégrité, elle en est encore plus heureuse. Elle sait néanmoins que dans la politique, y compris celle du monde magique, rares sont les personnes à obtenir un poste sans s'être jamais sali les mains. Être une exception de ce côté-là n'est pas sa priorité. Non, elle veut surtout devenir la première présidente noire : pour montrer la voie, peut-être être érigée en modèle. Mais surtout montrer qu'elle pouvait le faire. Et que si elle y arrive, alors tout le monde le peut, tous ses congénères trop longtemps méprisés et persécutés. Elle veut libérer son peuple, tâche aussi ardue qu'ambitieuse. Pourtant, sa jeunesse est bien la preuve qu'elle a tout le temps du monde devant elle.
Alors elle regarde ses camarades danser et bondir dans tous les sens, se demandant comment elles peuvent encore trouver l'énergie de le faire, après la soirée éprouvante qu'elles viennent de passer. Et la journée toute aussi éreintante, dans son cas.
Elle étouffe un bâillement, hésite à faire une petite sieste, façon Zoé. Mais même si elle était capable d'occulter complètement les bruits extérieurs, elle sait que dormir maintenant ne ferait que la fatiguer un peu plus. Alors elle reste droite sur sa chaise, profitant de l'accalmie pour grignoter une barre énergétique. Sa solution miracle quand elle a besoin de faire une nuit blanche.
Son geste attire l'attention d'Amélie et le sourire de cette dernière ne laisse rien présager de bon. Instantanément, la blonde bondit dans sa direction, tendant la main comme pour l'inviter.
– Non.
Le mot est fermer et définitif ; ce qui ne décourage pourtant pas la jeune fille au sourire rayonnant.
– Allez quoi, amuse-toi avec nous.
– Non.
– C'est la musique que t'aimes pas ? On peut changer. T'écoutes quoi ?
Avec un soupir, Irina avale le dernière bouchée de sa barre et lève bras et yeux au ciel dans un geste exagérément implorant. En face, Amélie se contente de rire, avec légèreté et insouciante. Cette nuit, la blonde, d'apparence si propre sur elle et si parfaite, a montré tellement de visages différents qu'Irina ne sait plus bien où donner la tête. Elle qui se targue pourtant habituellement d'être douée pour évaluer les gens, les analyser, découvrir leur face cachée. Peut-être qu'Amélie est juste difficile à décrypter — peut-être que même elle ne pourra jamais passer outre son masque.
Tour à tour capricieuse et susceptible, Amélie arrive pourtant à témoigner d'autodérision ; une élève sage et disciplinée se transformant en un petit raz-de-marée au sourire dévastateur, prêt à tout décimer sur sa route. Inutile pour la brune de nier le charme de la blonde ; elle la trouve sublime, comme les autres filles dans la salle. Comme probablement tous les autres étudiants de cette école.
Dans un éclair de lucidité surprenant, elle espère que l'adolescente finira par trouver un garçon qui l'aimera pour ce qu'elle est, entièrement. Qu'il acceptera chaque facette de sa personnalité. Et qu'elle pourra enfin abandonner sa quête stupide de la perfection, pour accepter que ce sont ses imperfections qui la rendent belle et réelle.
– Ça, tu préfères ? Allez, madame, accordez-moi cette danse !
– Essaie de le dire un peu plus poliment pour voir ?
– Euh... Comme dans les films tu veux dire ? Ma dame, m'accorderiez-vous cette danse ?
Amélie mime une parodie de courbette, la main tendue, l'autre repliée dans son dos. La scène, pour le moins surréaliste, a le don de faire naître un sourire sur le visage d'Irina. Elle n'oublie pas son objectif, ne l'oubliera probablement jamais — après tout, c'est lui qui dirige sa vie depuis tellement d'année qu'elle ne saurait même pas comment vivre sans. Mais peut-être qu'en parallèle, elle peut bien s'accorder des petites pauses, juste le temps de s'amuser un peu ?
Avec un nouveau regard vers le plafond, elle finit par accepter la main tendue.

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Collées
Genç KurguZoé a tagué, Mia était là, Irina s'est battue, et Amélie a volé. Quatre histoires différentes, qui se mêlent et se recoupent jusqu'à n'en former plus qu'une en cette fraîche soirée aux relents de magie.