AMÉLIE coupe les tiges, sans se plaindre, avec l'application des élèves modèles. Concentrée sur sa tâche, elle ne parvient pourtant pas à empêcher son regard de dévier vers les sucreries abandonnées. Son estomac lui rappelle douloureusement à quel point il est vide ; elle ne désire néanmoins pas manger. Elles doivent attendre que Zoé se réveille de toute manière, c'est elle qui semble en avoir le plus besoin. Elle et Mia, dont les paupières se ferment de nouveau.
En les voyant ainsi, main dans la main, la blonde ne peut s'empêcher un élan de jalousie caractéristique. Oh comme elle aurait aimé que son petit-ami se montre aussi romantique avec elle... enfin, son ancien petit-ami. Elle ne parvient pas à s'y faire, quand bien même elle sait qu'il le faudrait. Pourtant, elle ne sait pas si elle est prête à se séparer de lui. Elle n'en a aucune envie, a tout de même conscience que ce serait la meilleure chose à faire. Elle a déjà passé bien trop de temps à lui courir après, poursuivant une silhouette intangible et fantomatique.
Et elle a faim. Amélie a faim, même si elle n'oserait jamais l'avouer. Elle n'a fait que jouer avec sa nourriture ce midi, a à peine avaler son sandwich ce soir.
Inconsciemment, son regard se tourne vers la pâte de fruit, trônant fièrement sur le haut du monticule. Captant ce coup d'œil, Irina ne peut s'empêcher de rire.
– Oh je te comprends, moi aussi elle me fait de l'œil.
– C'est pas ce que tu crois !
– C'est jamais c'que je crois.
Elles rient toutes les deux de bon cœur — la blonde en profitant pour masquer la pointe de rancœur qui se fiche dans son cœur. Comment sa camarade peut à ce point plaisanter sur ça ? Elle n'est pas mince, rayonne pourtant d'une beauté toute personnelle. Et Amélie, à côté, pour qui beauté ne pouvait jusqu'à maintenant rimer qu'avec maigreur. Elle n'aurait peut-être pas dû porter tant d'attention aux petits commentaires de sa mère, tous faussement bienveillantes ; elle le sait, pourtant, que cette dernière ne pensait pas à mal. Telle mère, telle fille, toutes deux corrompues par cette société dans laquelle elles se fondent à la perfection.
Avec un soupir, Amélie tente de retrouver sa concentration. Elle sépare tige et chapeau, lève de temps-en-temps la tête pour fixer son attention sur Zoé, dont le visage endormi lui paraît beaucoup trop apaisé, presque innocent, loin de l'air revêche qu'elle se donne le reste du temps.
– Elle a l'air de si bien dormir. Comment elle fait ?
Une pointe de jalousie dans sa voix ; même si la blonde s'endort facilement, son sommeil est si fragile qu'un rien peut la réveiller. Armée de son masque pour les yeux et de ses boules quies, elle n'a pourtant pas eu de nuit complète depuis plusieurs mois.
– C'est son super-pouvoir, marmonne Mia, les yeux toujours fermés.
– Elle manipule le sommeil, tu veux dire ?
Cette fois, l'éclat de rire est général, trois voix qui se joignent joyeusement. Mia rouvre les yeux, pour les poser sur Amélie. Dans ses iris, une étincelle de malice que la blonde pense voir pour la première fois et qui lui réchauffe le cœur. Elle lui sourit et la jeune fille pique un fard, détourne le regard en rougissant. Sa réaction est tout de suite plus appropriée, plus en raccord avec sa personnalité.
– Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit la blonde.
– Euh... rien, non, c'est... euh... rien, répond la brune.
Si elle avait pu, elle serait probablement partie s'enfouir sous la terre. Pourtant, elle a prouvé ne pas avoir d'affinité avec la terre, il est alors peu probable qu'elle en soit capable. Les pensées divagant, Amélie en vient à se demander s'il existe un sortilège capable d'une telle prouesse. Peut-être. Sûrement. Il en existe pour tout, aujourd'hui.
– Je mords pas, tu sais; marmonne distraitement la blonde.
C'est au tour d'Irina de rire ; un rire exubérant, un peu brusque, pourtant sincère.
– J'ai dit exactement la même chose y a quoi... une heure ? Deux ?
– On a le même esprit c'est ça ?
Échange de regards complices, sourires aux lèvres. Y compris celui de Mia, malgré sa gêne.
– C'est pas que j'ai peur de vous, c'est que... vous êtes... enfin, intimidantes. Et... et... tellement... belles.
La fin de sa phrase se perd dans un marmonnement presque inaudible. Le compliment fait plaisir à la blonde, bien qu'elle soit habituée à l'entendre ; il résonne à ses oreilles avec délectation, comme un chant bien connu. Irina, par contre, arque un sourcil, sceptique. Pendant une poignée de secondes, elle retrouve son expression grave, celui qui ne la quittait pas au début de la soirée, contre lequel ses camarades se fracassaient.
– Pour toi, tout le monde est beau, non ? demande-t-elle, le regard impénétrable.
– Oui.
Et c'est de nouveau les rires qui résonnent dans la pièce, dans un concerts de bruits si différents les uns des autres. Mia est aussi discrète qu'Irina se laisse entendre, aussi inaudible qu'Amélie est mélodieuse. Elles se complètent dans leurs rires comme dans la vie et cette harmonie leur sied à la perfection.
Un grognement les interrompt pourtant — Zoé lève la tête, les cheveux ébouriffés, la frange désordonnée et les lunettes de travers.
– J'ai loupé quoi ?
La fine trace humide sur le coin de sa lèvre, plus que sa remarque et sa voix encore ensommeillée, pousse les jeunes filles dans leurs derniers retranchements, à deux doigts de s'effondrer par terre tant elles rient.

VOUS LISEZ
Collées
Teen FictionZoé a tagué, Mia était là, Irina s'est battue, et Amélie a volé. Quatre histoires différentes, qui se mêlent et se recoupent jusqu'à n'en former plus qu'une en cette fraîche soirée aux relents de magie.