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AMÉLIE adresse des regards à la dérobée à Zoé, les lèvres pincées, sourcils froncés. Irina est partie depuis quelques minutes maintenant et elle sait qu'elle devrait dire quelque chose, n'importe quoi ; pourtant elle attend de sa camarade qu'elle prenne la parole en première. Parce que c'est elle qui a commencé, avec son attitude revêche et ses remarques acerbes. Parce qu'elle ne se sent pas particulièrement d'humeur, non plus.

Mais évidemment, la rouquine se contente de l'ignorer. Comme toujours. La blonde soupire profondément ; à un autre moment, elle aurait laissé tomber. Mais pour Irina, elle veut faire un effort. Parce que sa camarade a eu le mérite de l'écouter, d'être là pour la réconforter. Elle ne peut pas lui tourner le dos comme ça.

Elle finit par s'asseoir en tailleur sur l'herbe, dédaignant son sac et ses champignons. Elle aura tout le temps de s'y remettre plus tard.

– On peut parler ?

– Oui, on peut. Est-ce que j'en ai envie ? Nan.

– Tu pourrais faire un effort quand même.

– Pourquoi ? T'as fait des efforts toi ?

– Oui.

– Wow, c'est nouveau ça.

La première tentative est un échec, comme elle pouvait s'y attendre. Qu'est-ce qu'elle peut bien ajouter d'autre ? Elle ne peut quand même pas discuter toute seule. Ou peut-être qu'elle peut tester.

– Mais qu'est-ce que je t'ai fait, Zoé ?

– Tu sais pas ?

– Non.

– T'es vraiment encore moins futée que c'que j'pensais.

– Et toi, encore plus désagréable.

La deuxième tentative se solde par des murmures dédaigneux des deux côtés. Rien de nouveau sous le soleil et la blonde décrète avoir assez fait d'efforts comme ça. Si Zoé refuse de l'aider à recoller les morceaux de cette amitié qui les unissait pourtant quelques années auparavant, elle ne peut plus rien y faire.

Elle se redresse pour recommencer sa pêche aux champignons, sans un regard de plus envers sa camarade. Elle peut bien se débrouiller, ce n'est plus son problème.

Néanmoins, la tâche rébarbative l'ennuie bien trop vite à son goût, lui faisant presque oublier sa décision. Parler l'aide à s'occuper, au moins. Même se disputer est préférable à ce sentiment de morosité qui plonge son esprit dans du coton, l'incite à penser à tout ce qui lui torture l'esprit au quotidien. Elle a besoin de penser à autre chose, de s'aérer l'esprit.

Mais elle est incapable de le faire seule, elle en est bien consciente.

– Tu sais vraiment pas ? reprend soudainement Zoé, brisant le calme de la forêt.

Amélie s'arrête, surprise ; lui adresse un coup d'œil, avant de se concentrer sur un champignon. Juste pour avoir quelque chose à regarder.

– Bah... non.

– T'es vraiment débile.

– Tu l'as déjà dit.

– Tu m'as blessée.

– Pourquoi ? Parce que je suis débile ?

– Mais non. Je pensais qu'on était amies. Avant.

– On l'a été.

– Et pourquoi on l'est plus, dis-moi ?

Amélie se fige, l'esprit en ébullition. Elle sait au fond d'elle-même que c'est sa faute, ne se rappelle pourtant pas des circonstances exactes. Qu'est-ce qu'elle a bien pu faire ? Qu'est-ce qu'elle a bien pu dire ? Son cerveau, déjà trop sollicité, s'est occupé de faire le tri dans ses souvenirs, surtout les plus difficiles.

Elle finit par secouer la tête, lentement. Elle capitule, elle n'en a aucune idée.

– Tu sais pas hein ? demande Zoé.

– Non.

– Quand tu te rappelleras tu me diras alors.

– Tu comptes rien me dire ?

– Nan. Ce serait trop facile.

La rouquine soupire, fait une pause, plongée dans ses pensées. Puis elle ajoute, magnanime :

– Mais on peut faire provisoirement la paix, en attendant. Je veux pas qu'Irina s'énerve et m'enterre vivante. Ça semble pas très agréable.

Leur toute nouvelle entente se forge dans un éclat de rire de la blonde, que ne reprend pourtant pas la rouquine, dont les deux étincellent pourtant dans la faible lueur des champignons. Et ça lui fait tellement de bien, à Amélie, ce soudain élan de légèreté, presque comme un retour aux sources, à cette enfance qu'elle a laissé de côté tant d'années auparavant.

Pour la première fois en deux ans, elle regrette d'avoir perdu l'amitié de Zoé. Elle se dit que, peut-être, ses journées auraient été plus belles si elles étaient restées ensemble, qu'il y aurait eu plus d'éclats de rire, plus d'insouciance, plus de plaisanteries et de sourires éclatants. Elle en vient à reconsidérer tous ses choix, à déterminer le moment exact où sa vie à pris ce tournant désagréable. Ce jour où elle a croisé Nathan pour la première fois, que ses yeux ont accroché les siens, pour ne plus les lâcher.

Mais Nathan ne l'aime pas, ne l'a probablement jamais aimé. Elle n'a eu que la chance d'être là au bon moment, d'avoir eu la témérité de vouloir le faire succomber à ses charmes. Elle n'a eu que l'avantage d'être un minimum belle pour lui plaire, d'avoir la naïveté de lui accorder tout ce qu'il désire.

Amélie voit clair dans son jeu maintenant, elle ne l'aura jamais réellement ; et pourtant elle ne sait pas si elle sera capable de se séparer de lui. Parce qu'elle l'aime si fort qu'elle a l'impression que son cœur s'est déchiré en deux et que plus jamais elle ne pourra tomber amoureuse. Elle est beaucoup trop dépendante de son affection et de ses rares marques de tendresse, également.

Elle lève la tête, croise le regard de Zoé ; et sans un mot, elle comprend que cette dernière est aussi blessée qu'elle, probablement aussi écorchée.

– Je suis désolée, Zoé. Pour tout, je veux dire. Je t'ai toujours beaucoup appréciée et c'est stupide qu'on se batte comme ça. J'espère que quand... enfin... quand j'me rappellerai pourquoi on est plus amies, on pourra le redevenir.

La rouquine hoche la tête ; et un sourire sincère fleurit sur les lèvres de la blonde. Le premier depuis un long moment.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant