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AMÉLIE ne peut empêcher son sourire de devenir plus éclatant encore quand Irina finit par accepter sa main. D'une souple traction du bras, elle l'incite à se lever et recommence à danser, leurs doigts entremêlés. Elle lui montre quelques pas, que reprend la brune. Un peu gauche au début, elle prend rapidement le rythme et finit par un petit solo, sous les applaudissements de la blonde qui ne s'en lasse pas. Ses éclats de rire parviennent presque à couvrir la musique ; elle a les yeux brillants, les cheveux ébouriffés. Elle ne ressemble pas à grand chose, mais pour une fois, elle s'en fiche.

Un coup d'œil en arrière lui apprend que Zoé et Mia dansent plus ou moins ensemble — l'une en face de l'autre en tout cas. Mia a la tête baissée et se contente de passer d'un pied à l'autre, pendant que Zoé semble perdre son entrain, les mouvements plus saccadés.

Et c'est en la voyant comme ça qu'Amélie finit par comprendre. Enfin. Elle abandonne Irina, pour rejoindre les deux jeunes filles. D'une main, elle attire la rouquine vers elle, s'écarte de quelques pas. Ses doigts contre la hanche de Zoé, elle se presse contre elle, sa bouche trouvant le chemin de l'oreille de sa camarade. Heureusement que cette dernière est plus petite qu'elle.

– Je sais pourquoi on a cessé d'être amie, lui chuchote-elle.

Elles ont arrêté de danser et Amélie se doute que leur étreinte peut paraître étrange, pour un regard extérieur. Mais elle ne s'en soucie pas, tient vraiment à ce que cette conversation reste entre elles. Parce qu'elle culpabilise, parce qu'elle a honte — et qu'elle a enfin compris ses erreurs.

– Pourquoi ? répond sa camarade.

Amélie entrouvre la bouche, peine à laisser sortir les mots. Elle a peur que Zoé lui en veuille, qu'elle la déteste toujours et ne veut que profiter de cette occasion pour la torturer un peu plus. Avant de lui tourner le dos. A nouveau.

– Parce que... enfin, j'ai écouté les autres.

– Comment ça ?

– Quand ils m'ont dit que t'étais gay et que si je traînais avec toi c'est que je devais l'être aussi.

Un instant de flottement, puis le soupir de Zoé, qui s'écarte sans ménagement. Elle recule de quelques pas pour planter son regard dans le sien. Et Amélie se rend compte à quel point sa camarade a de beaux yeux, de ce vert d'eau si particulier, que ne parvient pas à masquer ses lunettes. Entre la frange longue et les montures rondes, la blonde en vient à se demander si la rouquine n'a pas essayé de se cacher, tout ce temps. Dissimulant son visage, quand bien même elle arbore une couleur flash qui lui attire tous les regards — l'adolescente faite de contradictions. Elle a toujours été comme ça, depuis leur première rencontre, quand elle alternait entre chaud et froid. Zoé n'a jamais voulu du tutorat, c'est la directrice qui l'a forcée à y adhérer ; ayant jusque là évolué loin du monde magique, il fallait quelqu'un pour l'y introduire. Amélie a eu tant de mal à la dompter, a pourtant réussi, l'espace de quelques mois, avant de tout fracasser. Parce qu'elle avait peur des moqueries et des insultes.

Aujourd'hui plus que jamais, elle se veut d'avoir abandonné cette amie qui avait désespéramment besoin d'elle.

– Et maintenant ? lâche Zoé.

Amélie fronce un instant les sourcils, dans l'incompréhension.

– Maintenant, si tu veux bien me pardonner...

– C'est pas ma question.

– C'est quoi ta question ?

– Ce que disent les autres.

Surprise, la blonde met quelques secondes à réagir, les yeux écarquillés. Puis elle finit par éclater de rire, de ce rire si mélodieux et caractéristique, qu'elle a appris à cultiver au fil des années.

– Que tu sois... lesbienne ou pas, je m'en fiche. Ils peuvent bien dire c'qu'ils veulent, j'ai passé déjà trop de temps à me soucier de leurs commérages. Tous des idiots !

Elle parle avec légèreté, sait pourtant que ce ne sera pas si facile sur ça — pourtant, elle a vraiment envie d'y arriver. De se décrocher des regards extérieurs, pour mieux profiter du temps qu'elle passe avec ses amis. Et si elle parvient à garder Zoé à ses côtés, elle sait qu'elle peut le faire. Surtout si Irina continue à l'épauler comme elle l'a fait ce soir-là. Avec des filles aussi extraordinaires à ses côtés, elle a bon espoir d'y arriver. Parce qu'elle n'en peut plus de laisser les autres lui dicter sa vie. La sienne et celle des personnes qui comptent sur elle et pour elle.

Elle sourit et Zoé se contente de hausser les épaules, avec son désintérêt légendaire.

– Cool alors.

– Tu me pardonnes ?

– Si tu dévalises les distributeurs pour moi pendant une semaine, peut-être que j'y penserai.

Amélie éclate à nouveau de rire et tend le bras dans sa direction, les doigts écartés.

– Marché conclu.

Et quand elles se serrent la main, la chaleur de l'une se communiquant à l'autre, elles savent que tout est déjà pardonné, même si rien n'est oublié.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant