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IRINA ne sait pas quoi faire. Sa conscience lui a dicté de ramener Zoé ; maintenant ne sait plus quoi faire, les bras ballants et le regard fixé sur les deux silhouettes entremêlées. Elle se demande comment elle peut aider, mais surtout, de quelle manière elle aurait pu empêcher ça. Et si elle avait fait plus attention ? Et si elle s'était plus souciée de sa camarade ?

Elle se sent mortellement impuissante, se félicite tout de même d'avoir eu la présence d'esprit d'aller chercher la rouquine. Parce que personne d'autre n'aurait pu aider Mia mieux qu'elle.

– La fleur de mandragore permet de faire des charmes de protection, marmonne Amélie.

Sa voix est si basse qu'Irina pense être la seule à l'avoir entendu. Un coup d'oeil vers la blonde lui révèle l'étendu des tourments qui se reflètent sur son visage. Elle paraît si inquiète que pendant une seconde, la brune envisage de lui prendre la main. Mais c'est finalement sur son épaule que ses doigts se posent ; et instantanément, la jeune fille se rapproche d'elle. A quelques centimètres l'une de l'autre, elles observent leurs deux camarades se lever, lentement.

Le poing d'Irina se serre quand elle entend la remarque de Zoé. Parce qu'elle a raison, mais qu'elle se fustige, autant qu'elle accuse l'enseignante. Parce qu'elles ont chacune leur tort dans cette histoire et qu'en tant qu'aînée de la petite bande, elle aurait dû être plus attentive. Elle aurait dû voir quelque chose.

– On rentre.

La voix de Zoé sonne, implacable. Elle retourne vers la clairière, sûrement pour retrouver son chemin, pendant qu'Irina reste là. Une nouvelle fois, elle ne sait pas quelle attitude adopter, quels mots employer. Elle se tourne vers Brunet, tout autant déstabilisée.

– On peut y aller ? s'enquit l'adolescente.

L'enseignante finit par hocher la tête. Si les mots de Zoé ont trouvé écho dans l'âme d'Irina, Brunet a peut-être eu la même illumination. Elle s'en veut probablement, mais la brune ne parvient pas à la plaindre. Parce que c'est elle qui les a traînées ici : et qu'elle aurait dû savoir.

Elle se charge de récupérer les sacs abandonnés, s'adressant à Amélie sans même la regarder.

– Ce serait bien que tu les suives. Au cas où.

– Ça va aller.

Courte étreinte sur l'épaule de la brune, avant que la blonde ne s'éloigne en courant. Au fond, Irina aurait aimé qu'elle reste, ne serait-ce que pour la rassurer et cet élan d'égoïsme lui scie le ventre. Elle s'est toujours interdit d'être faible, ne comptant que sur elle-même ; et peut-être Mélissa, aussi, avec son sourire si honnête. Son cœur se réchauffe légèrement en repensant à cette amie : amie qui n'en est d'ailleurs plus une depuis quelques jours, depuis leur premier baiser. Irina pense à elle et culpabilise de l'avoir ensuite repoussée. Elle voulait se concentrer sur ses cours, ne désirait aucune distraction. Maintenant, elle sait qu'elle courra dans ses bras dès les premiers rayons du soleil. Parce qu'elle a fait suffisamment d'erreur dans sa vie et ne veut pas s'en rajouter une.

Elle revient dans la clairière pour ramasser les derniers sacs. Plus aucune trace des trois jeunes filles et Irina espère qu'elles sont en sécurité ; mais avec Amélie à leurs côtés, elles devraient s'en sortir.

– Vous étiez au courant ? s'enquiert l'enseignante.

– Non.

– J'espère qu'elles ne jouent pas la comédie.

– Bien sûr que non.

Irina accélère le pas d'un geste rageur. Elle est bien trop énervée pour réfléchir, sait qu'elle le regrettera, si elle laisse son impulsivité prendre le contrôle. Comme à chaque fois. A part peut-être ce midi, quand elle s'est battue. Ça, elle ne s'en veut pas, au fond. Au contraire, si c'était à refaire, elle le referait probablement.

Brunet tente de reprendre la conversation, mais se heurte à un mur impénétrable. Quand Irina décide d'être une tombe, elle peut jouer son rôle à la perfection.

– Je ne veux pas qu'on pense que je ne me soucis pas de mes élèves. C'est faux. J'ai toujours eu bonne réputation dans cette école ! Personne ne s'est jamais plaint.

Et c'est vrai qu'avant ce soir-là, Irina prenait l'enseignante pour un modèle de vertu. Toujours un sourire aimable, jamais un mot plus haut que l'autre. Quand certains cédaient à la colère, elle restait invariablement calme. Pourtant, cette image s'est dissipée ce soir et Irina sait bien pourquoi : parce que ce n'est plus à la potentielle future élite que l'enseignante s'adressait, mais à des délinquantes. Brunet ne respecte que le haut du classement. Probablement n'éprouve-t-elle d'affection que pour ceux qui risquent, à l'avenir, de lui apporter ce qu'elle désire.

– Je ne comprends pas l'attitude de mademoiselle Maybon.

– Moi je comprends.

Irina lève les yeux au ciel et accélère un fois de plus. Le simple fait de marcher à côté de l'adulte lui tord les tripes : elle voudrait juste pouvoir s'échapper.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant