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ZOÉ ne va pas bien.

Elle n'avait déjà que peu d'énergie dans tout à l'heure, a pourtant siphonné le peu de force qu'il lui restait pour aider sa camarade. Elle a appris à se gérer elle-même, à ne pas se reposer sur les autres. Elle connaît ses limites, sait la plupart du temps comment ne pas les dépasser, même si elle a tendance à en abuser, flirtant avec la ligne invisible. Zoé a toujours détesté la monotonie, autant qu'elle aime le danger — au dépend de sa propre santé.

Mais là, elle voit une différence. Là, elle se sent physiquement à bout de forces. Et c'est loin d'être un bon signe.

– Hé, ça va ?

Amélie, évidemment, dont le regard soucieux cherche ses yeux. Elle a toujours été comme ça, la blonde, à se préoccuper de tout le monde, cherchant à aider la moindre âme égarée sur son chemin. Si au début Zoé acceptait sa main tendue, des papillons dans le ventre, elle a bien vite compris qu'elle n'était nullement spéciale aux yeux de son aînée. Et qu'elle ne supportait pas cette situation.

Alors, elle secoue la tête, refuse son soutien, les lèvres désespéramment closes. Elle n'a pas le courage de parler, encore moins d'ouvrir la bouche. Toute son attention se concentre sur ses jambes, ses pieds se mouvant à une lenteur désespérante, comme si chaque pas allait être son dernier.

Quand Amélie se rapproche d'elle, elle se contente de l'ignorer, délibérément.

– Zoé, ça va vraiment ? Réponds-moi.

Elle aimerait bien parler, ne serait-ce que pour l'envoyer promener, retrouver sa verve coutumière, mais elle s'en sait incapable. Tout ce qu'elle parvient à faire, c'est traîner la patte jusqu'à la salle de cours, où Brunet les attend, tapant du pied pour manifester son mécontentement.

Immédiatement, Zoé s'effondre sur la première chaise venue, sans un regard pour l'enseignante, qui s'éclaircit la voix.

– Je dois m'absenter. Préparez les champignons, en attendant.

Son ton est strict, sa voix dénuée de toute émotion. D'un geste précis et rapide, elle attrape un champignon, dont elle sépare chapeau et tige. Elle dispose le premier élément dans un bol, le deuxième dans un autre et leur présente le travail accompli.

– Récupérez un couteau, une planche à découper pour deux, et au travail. Pas de magie.

A travers un brouillard d'épuisement, Zoé repense aux mots d'Amélie, un peu plus tôt dans la soirée. Elle se revoie la considérer comme un enfant gâtée et naïve ; elle n'avait pas tort, pourtant. Rien n'a jamais autorisé le corps enseignant à les exploiter comme ça. La rouquine a l'habitude, ce n'est ni sa première ni sa dernière colle et elle sait bien que la directrice a établi ce système pour dissuader les bêtises à venir. Pourtant, ça n'a jamais empêché Zoé de faire quoique ce soit — et elle n'est même pas sûre que ce soit vraiment efficace pour quiconque. Peut-être parce qu'elle a eu la chance de ne tomber que sur la crème des professeurs, ceux qui vous font travailler juste ce qu'il faut, sans pour autant vous laisser fourbus et traumatisés.

Zoé a longtemps réfléchit à la question, ignorant sciemment tous les justificatifs de la directrice pour aboutir à une conclusion : tout ça n'est qu'une manière détournée de fournir de la main d'œuvre gratuite aux enseignants en manque de personnel. L'école n'est pas riche et même si elle l'était, peu de gens ont encore envie d'y travailler. Malgré sa réputation, le pensionnat a perdu de sa gloire d'antan, il n'a plus maintenant que le mérite d'être encore debout.

Du coin de l'œil, elle aperçoit ses camarades se mettre au travail et tend la main à son tour. Parfaite actrice, elle ne compte pas vraiment aider, veut juste faire semblant.

– Vous pouvez prendre une pause si vous voulez, mais n'abusez pas, tout doit être fini quand je reviendrai.

Si Zoé avait été en forme, elle aurait probablement levé les yeux au ciel avec une grimace exaspérée. Tout dans la provocation, juste ce qu'il faut pour être comprise, mais pas assez pour se retrouver une nouvelle fois punie. Elle en a déjà suffisamment pour toute une vie ou presque.

Quand l'enseignante quitte enfin la salle, c'est dans un soupir collectif que tous les visages se détendent. Tous, sauf celui de Zoé, qui réquisitionne chaque muscle pour maintenir un semblant d'illusion.

– Zoé, t'as vraiment l'air épuisé, commence Amélie. Je vais te chercher une boisson énergisante, bouge pas !

La blonde se lève d'un bond, comme mue par un ressort.

– Ça fera pas grand chose, soupire Zoé.

Et elle parle d'expérience ; elle a trop souvent testé cette méthode. Pourtant, son ton défaitiste, loin d'entamer la détermination d'Amélie, ne fait que la convaincre un peu plus.

– C'est toujours mieux que rien... attends.

D'un geste fluide, elle pousse champignons et planches à découper pour ménager un petit espace sur la table, dans lequel elle dépose son pull, consciencieusement plié en deux.

– Repose-toi... Toi aussi, Mia.

– Mais... et madame Brunet ? intervient cette dernière.

– On s'en fout.

Zoé arque un sourcil devant la véhémence si inhabituelle d'Amélie. Bien sûr, la blonde ne doit s'autoriser cet écart que parce qu'elles sont seules, loin de toutes oreilles indiscrètes. Pourtant, la rouquine ne peut s'empêcher de s'en réjouir — même si elle ne l'avouera probablement jamais.

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