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IRINA est fatiguée. Dès qu'elle fait mine d'arrêter de danser pour retrouver sa place, c'est Amélie qui l'attire vers elle, avec un regard de chien battu. La brune est une dure à cuire pourtant, pas du genre à se laisser amadouer, mais elle sait être un véritable cœur d'artichaut, quand elle le veut. Et puis surtout, elle n'a pas envie de devoir se coltiner les plaintes de la blonde, si elle parvient à se rassoir. Elle sait que sa camarade peut être particulièrement têtue et qu'elle ne la lâchera pas tant qu'elle n'aura pas ce qu'elle veut — quelqu'un avec qui se déhancher sur la piste de danse, donc. La jeune fille ne sait juste pas combien de temps elle va tenir avant de l'envoyer promener, sans y mettre les formes, effectivement. Elle peut se révéler d'une patience infinie, ce qui ne l'empêche pas d'avoir ses limites. Et gare à quiconque les franchirait sans se soucier des conséquences.

Irina s'écarte, quand Zoé les chasse, et Amélie ne peut que la suivre, les sourcils froncés. D'abord sceptique, c'est un sourire qui vient ensuite illuminer son visage.

– Elles ont l'air de bien s'entendre, non ?

Sa voix est légère, enjouée, comme si la situation l'amusait. De son côté, Irina se contente de hausser les épaules. Oui, elles ont l'air de bien s'entendre, elle l'a remarqué aux sourires en coin, aux regards à la dérobée, aux lèvres pincées. Elle l'a vu dans la jalousie de Zoé, puis celle de Mia. Il ne reste plus qu'à attendre que les deux concernées s'en rendent également compte. Mais ça, ce n'est pas vraiment son problème.

La blonde arrête soudainement de danser, imitée par la brune ; elle lui donne un coup de coude, plante son regard dans le sien.

– Tu trouves pas ?

– Si, si.

Si elle consent à répondre, elle ne daigne pourtant pas s'y attarder, au grand désespoir d'Amélie qui pousse un soupir, le regarde désespérée. Et sans exagération.

D'un geste nonchalant, elle agite la main en direction de la brune.

– C'est bon, je te libère, tu peux retourner t'asseoir.

D'un coup d'oeil, elle vérifie que leurs deux camarades sont toujours en pleine discussion, pour se pencher en avant.

– Et les espionner, au passage.

– Amélie, vraiment, tu devrais apprendre à te mêler de tes affaires hein.

– Pourquoi ? C'est pas amusant ! Et puis ça me change les idées.

Ses yeux se voilent de tristesse et Irina sait qu'elle n'y est pas allée avec des pincettes. Même si ce n'est pas son genre, la subtilité. Elle est plus douée pour foncer dans le tas. Ou se taire à jamais.

D'un geste qu'elle espère réconfortant, elle tapote l'épaule de la blonde.

– Désolée, c'est vrai. Fais-toi plaisir.

– C'est vrai ? J'ai le droit ?

– Avec modération.

Son enthousiasme est très fortement retombé, ça n'empêche pas ses yeux de recommencer à luire de malice. Sans bien savoir d'où ça lui vient ni pourquoi, Irina se rend compte qu'elle commence à réellement apprécier la blonde, avec ses changements d'humeur, sa manière de s'impliquer à corps perdu et pourtant cette distance qu'elle se fait un devoir d'instaurer. Irina a conscience qu'elle fait probablement partie des rares personnes auprès de qui la blonde a ouvert son cœur, totalement et sans censure. Si au début elle ne s'est souciée d'elle que par devoir et par crainte des regrets, elle se félicite maintenant. Parce que ce n'était certainement pas du temps perdu.

C'est si rare que la jeune fille s'intéresse totalement et inconditionnellement à quelqu'un qui ne fait pas déjà parti de son cercle de proches. Elle a toujours eu tendance à être un peu trop exclusive, ne prenant jamais le risque de trop se disperser. Mais ce soir, elle a appris qu'il n'y avait pas que ça, dans la vie ; elle désire encore ardemment exceller dans les études, atteindre ses objectifs et le job de ses rêves. Mais elle accepte aussi le fait de n'être finalement qu'un être humain, avec des sentiments et un ressenti. Et parfois un intense besoin de faire une pause. Après tout, même la plus grande des sorcières mérite de prendre du temps pour elle, non ?

Quand Irina finit par se rasseoir, précédée par Amélie, Zoé et Mia sont toujours en train de discuter. Elle s'abstient pourtant de les écouter ; c'est leur moment, après tout et elle n'est certainement pas du genre à s'incruster. Sauf cas d'extrême urgence.

– J'ai hâte d'aller dormir, lâche-t-elle à Amélie en regardant l'horloge.

Et la blonde hoche la tête, sans avoir conscience de la portée de cette phrase. Pour la première fois de la soirée, Irina ne voit pas cette punition comme une véritable punition. Et elle ne compte plus rattraper le temps perdu en étudiant d'arrache-pied une fois rentrée. Non, elle prévoit de dormir comme elle ne l'a jamais fait auparavant. Et elle compte bien passer la meilleure nuit de sa vie.

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant