Collées

23:47

MIA ne peut s'empêcher d'être jalouse, quand bien même elle sait que son attitude est particulièrement puérile. Dans sa tête, tourne en boucle l'image les deux jeunes filles l'une contre l'autre, leurs regards si profonds, si concentrés, leurs sourires et rires. Et en toute objectivité, elle sait bien qu'Amélie et Zoé pourraient aller bien ensemble. Elles semblent si bien se compléter, même si elles sont diamétralement opposées. A côté, Mia fait tâche. Elle le sait. Ça ne l'a pourtant pas empêchée d'espérer.

Et elle continue d'espérer quand Zoé la traîne jusqu'aux chaises. Elle observe Irina et Amélie, toujours sur la piste de danse, ne cesse de se comparer à elles. Elle est moins élégante, moins jolie, beaucoup plus grosse et renfermée. Elle n'a pas ce talent inné de rendre lumineux chaque endroit dans lequel elle passe. Elle n'est pas à l'aise, jamais. Elle n'est pas drôle, non plus, n'a pas de conversation, ni cette aisance pour entraîner les autres.

Elle n'est rien.

Pourtant, c'est elle que Zoé regarde, elle le remarque du coin de l'œil. Elle ne veut juste pas y croire, ça fait trop de mal.

– Crois pas qu'on ait totalement enterré la hache de guerre. Elle est toujours aussi chiante.

Elle ne sait tout d'abord pas quoi dire. Les lèvres fermement closes, elle se demande ce que la rouquine peut bien attendre d'elle. Pourquoi est-ce qu'elle reste là, quand elle pourrait s'amuser avec les autres ? Ça n'a pas de sens. Elle ne comprend pas. Zoé constitue pour elle un mystère qu'elle ne se sent pas prête à élucider. Pas aujourd'hui. Peut-être jamais.

Et pourtant...

– Mais t'as toujours un crush sur elle, non ?

Les mots sortent, sans qu'elle-même ne s'y attende vraiment. Elle ne sait pas ce qui lui a pris, pas plus qu'elle ne se soupçonnait ce courage. Elle s'est néanmoins appliquée à parler d'une voix détachée, comme si c'était une constatation plus qu'une question ; comme si la réponse ne l'intéressait pas.

Au bout du compte, Mia veut juste éviter d'être blessée encore, elle a déjà trop souffert.

– Mais... non.

Zoé bute sur le mot, manifestement surprise — peut-être à cause de la brusquerie de la question ou parce qu'elle ne pensait pas être si rapidement démasquée. Elle jette un coup d'œil à Amélie et Irina, bien trop proches, et agite la main dans leur direction, comme pour les chasser.

– Ouste, c'est une conversation privée !

– Quoi ? répond la blonde, dont la voix part dans les aigus.

Zoé lève les yeux au ciel, faussement exaspérée, et Mia se demande si c'est sa manière de flirter. Après tout, elle n'y connaît pas grand chose, à part ce qu'elle a pu lire dans des romans ou entendu dire par des amis. Elle n'est pas très douée avec ça, comme avec tout, il faut bien qu'elle se l'avoue.

C'est probablement pour cette raison qu'elle ne sait pas comment réagir, quand la rouquine se penche vers elle, trouvant le chemin jusqu'à son oreille. Elle chuchote, pour ne pas se faire entendre par les deux autres adolescentes, tout en restant audible pour son interlocutrice.

– J'me le suis demandée, tu sais, mais... non, je pense pas. Amélie est magnifique, c'est sûr. Mais elle et moi ça aurait pas fonctionné avant, pas plus que maintenant. J'étais genre vraiment hyper amoureuse d'elle avant. J'ai grandi depuis la dernière fois, j'ai énormément changé. Elle est plus tellement c'que je recherche. On est pas compatible je crois.

Instantanément, les pensées commencent à tourbillonner dans la tête de la brune, comme une tempête déchaînée. Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ? Pourquoi est-ce que Zoé lui fait cette confession ? Elle ne sait pas, elle a peur de savoir, de se faire de faux espoirs, d'être déçue à la fin. Elle a peur, tout simplement, comme elle a toujours eu peur, s'empêchant de faire ce qu'elle voulait vraiment. Elle passe à côté de sa vie, elle le sait, mais comment faire autrement, alors qu'elle a toujours agi ainsi ?

La rouquine, bien trop proche à son goût, soupire et son souffle sur sa joue fait frissonner l'adolescente.

– Tu sais c'que je recherche, là ?

Incapable de parler, Mia se contente de secouer la tête. Non, elle ne sait pas.

– Quelqu'un pour m'écouter attentivement, qui voudrait réellement apprendre à me connaître et ne fuirait pas en sachant qui je suis réellement. Quelqu'un qui s'inquiète pour moi et veille à ce que je ne dépasse pas mes limites, mais me laisse faire c'que j'ai envie. Pire, m'accompagne.

Elle reprend sa respiration, laisse un temps de flottement.

– Tu vois c'que je veux dire ?

Et Mia se rend compte que son souffle s'est figé dans sa gorge, sans pour autant être capable de le relâcher. Elle ne comprend pas. De qui parle Zoé ? Elle n'envisage pas que ce soit elle ; après tout, comment la jeune fille pourrait s'intéresser à elle, alors qu'à côté il y a Amélie, avec ses longs cheveux blonds, sa peau de porcelaine et son joli sourire ? Comment Zoé pourrait l'apprécier elle, avec sa petite taille, sa coupe ringarde et ses kilos en trop ?

Elle a envie de pleurer. Parce qu'elle ne veut pas espérer... et pourtant elle n'arrive pas à s'en empêcher.