Collées

23:41

ZOE ressent la chaleur d'Amélie jusqu'aux tréfonds de son être, alors même que cette dernière vient de s'écarter. Dans le regard de la blonde, elle lit toute la bonté et la culpabilité du monde ; et elle sent une pierre lui tomber dans l'estomac. Elle a passé tant de temps à en vouloir à son ancienne amie, cultivant sa haine en même temps que sa rancœur, qu'elle ne sait plus quoi en faire, maintenant.

Elle se rappelle, la première fois où l'adolescente l'a repoussée, alors qu'elle accourait vers elle, ravie de la voir. Amélie était avec ses amis, elle n'avait que faire de la jeune fille : sa voix était douce, mais ses mots détachés, quand elle lui a dit qu'elle était occupée. Elle se rappelle des rires des badauds, elle se rappelle avoir senti son cœur se briser, à seulement douze ans. La douleur était si intense qu'elle a bien cru mourir. Et elle l'aurait presque espéré, quand les semaines se sont enchaînées, apportant avec elles leurs lots de déceptions. La blonde détournait la tête quand elles se croisaient dans les couloirs, partaient dans l'autre sens pour éviter d'avoir à lui parler. Et tous les jours, Zoé remerciait le ciel de lui avoir offert Cloé, sans laquelle elle n'aurait probablement pas survécu.

Les sentiments conflictuels mènent une bataille sanglante dans son esprit — la laissant le souffle court, des mots tremblants au bord des lèvres.

– Ce que disent les autres.

La phrase lui arrache une grimace. Elle a besoin de savoir si Amélie se soucie toujours autant du regards des gens, si elle risque de l'envoyer promener une nouvelle fois. Elle ne veut pas prendre le risque de souffrir, pas encore.

Elle était prête à tout, mais pas à l'éclat de rire de sa camarade. Si son rire la laisse pantoise, ses mots quant à eux lui réchauffent le cœur. Pourtant, elle continue à avoir peur : la naturel méfiant de l'adolescente rend bien difficile la reconquête de sa confiance. Elle a la rancune tenace ; elle peut en vouloir à quelqu'un pour l'éternité et ne pardonne jamais très facilement. Dans ses bons jours, elle aime à s'imaginer que c'est de famille.

Pourtant, elle serre la main tendue d'Amélie, scellant ainsi un accord qui accélère sauvagement les battements de son cœur. Incapable d'oublier, elle envisage néanmoins de lui laisser une seconde change.

Profitant de leurs mains jointes, Amélie l'entraîne en avant. Leurs corps, à nouveau si proches, donnent envie à la rouquine de hurler. Elle a mis tant de temps à oublier son crush, ne veut certainement pas retomber dedans. Parce que si elle est bien sûre de quelque chose, c'est que la blonde est hétéro.

Elles tournoient et son regard croise deux yeux sombres. Sa prise sur Amélie se relâche presque instantanément.

L'attention de Mia lui fait monter le rouge aux joues. Elle a bien vu son intérêt dans la manière dont ses yeux cherchaient toujours les siens, dans cette confession aussi inattendue que bienfaitrice. Dès le premier coup d'œil, il y a ce qui lui semble être une éternité, l'adolescente a su qu'elles étaient liées. Et qu'elle pouvait lui faire confiance. Mia souffre, tout comme elle et elle sait qu'elles ont bien plus de points communs qu'elle n'oserait l'avouer.

Oubliant Amélie, oubliant Cloé avec laquelle elle était pourtant persuadée que son avenir était tout tracé, elle s'écarte pour rejoindre sa camarade. Elle entend la blonde pouffer derrière elle, passe devant une Irina indifférente, pour rejoindre Mia, à qui elle adresse son plus beau sourire. Cette dernière, moins timide qu'au début, ne semble pourtant toujours pas aussi expansive que ses camarades. Les bras ballants, le regard fuyant, elle paraît si gauche et gênée, si mal assortie à la scène qui se déroule dans la pièce, que Zoé finit par lui indiquer les chaises d'un geste de la tête. Et, en silence, elles se rassoient. Évidemment, ce n'est pas au goût d'Amélie qui insiste pour les faire revenir sur la piste de danse, avant de s'avouer vaincue et de jeter son dévolu sur Irina. Dans son dos, Zoé lui adresse son plus beau doigt d'honneur. Ce n'est certainement pas au nom d'une paix peut-être illusoire qu'elle compte enterrer son caractère revêche et indomptable.

Puis elle glisse un regard vers Mia, sourire aux lèvres.

– Crois pas qu'on ait totalement enterré la hache de guerre. Elle est toujours aussi chiante.

Les lèvres closes, Mia suit les deux dernières danseuses du regard. Devant son mutisme, la rouquine fronce les sourcils. Elle qui pensait avoir fait un immense pas en avant, voire même des enjambées de géants, elle a l'impression d'être revenue au point de départ, ce qui ne manque pas de la frustrer. Peut-être que la brune lui en veut encore, pour cette colle ? Elle s'est excusée un nombre incalculable de fois, pourtant.

Alors forcément, quand l'adolescente finit par ouvrir la bouche, c'est la surprise qui fige Zoé.

– Mais t'as toujours un crush sur elle, non ?