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grossophobie /

MIA regarde ses camarades manger, sans pourtant participer. Maintenant plus que jamais, elle se sent grosse. Énorme, même. Elle voit Zoé avaler une quantité de nourriture incroyable et en vient à se demander comment elle peut être si mince tout en mangeant autant. Elle refuse chaque proposition, poliment, manque céder quand la rouquine lui montre la barre aux fruits rouge, mais finit par secouer la tête. Elle ne veut pas craquer. Elle ne peut pas craquer. Son poids, toujours présent dans son esprit, devient une obsession. Elle qui se sent plus proche de Zoé que jamais, a soudainement peur que cette dernière ne finisse par fuir, choquée par sa laideur. Après tout, si elle se trouve moche, alors pourquoi pas les autres ?

Elle écoute la discussion d'une oreille distraite, ne se réveille vraiment que quand Amélie commence à bondir. La blonde est toujours aussi sublime, ses cheveux voletant devant son visage, le visage éclairé par un immense sourire. Elle semble heureuse, la joie de vivre exhalant par chacun de ses pores. Mia en oublie carrément les paroles de la jeune fille, la petite blessure dans son cœur, pour ne se concentrer que sur son admiration. Elle aimerait tant être aussi belle, mais se contente de la regarder, puisqu'elle ne peut pas devenir comme elle.

Elle ne peut pourtant s'empêcher de tiquer quand la blonde invite la rouquine à danser et pousse un léger soupir de soulagement en entendant son refus.

– Mais pour lui faire plaisir, on peut peut-être y aller, non ? Elle est chiante, mais on est de bonne samaritaines, nous. Tu m'accompagnes ?

La jeune fille ouvre la bouche, la referme ; l'ouvre de nouveau. Elle veut refuser. Elle devrait refuser. Après tout, elle est si gauche et si maladroite. Mais elle n'ose pas. Et, pire que tout, elle ne sait pas si elle serait capable de lui dire non. Les secondes s'enchaînent sans que l'une ou l'autre ne parle, Amélie continuant à s'agiter sur la piste de danse improvisée. Et Zoé finit par craquer. Elle se lève et, d'une main, attire Mia debout à sa suite. Elles sont à quelques millimètres l'une de l'autre, une proximité qui lui cuit les joues — pourtant elle ne parvient pas à bouger, encore moins à s'écarter. Elle se contente de suivre les mouvements de Zoé du regard. Cette dernière, loin de vouloir l'entraîner dans un slow, lui tient les mains en sautant, agitant la tête à droite et à gauche. Elle témoigne d'une énergie et d'une vigueur toute nouvelle, qui dénote avec sa fatigue précédente. La petite sieste a dû la remettre d'aplomb ; et elle regrette tellement de n'en avoir pas été capable, elle. Peut-être qu'elle aurait été aussi en forme ? Peut-être qu'elle aurait eu le courage de l'accompagner, sans qu'on la force, sans se sentir si honteuse ?

Elle a envie de pleurer, soudainement. Elle se déteste de tout son corps, se déteste de rester si statique, d'être si laide, si peu entreprenante. Pour un peu, elle aurait envie de se coller quelques gifles. Pourtant, quand Amélie se glisse derrière elle, l'entraînant dans son mouvement, elle ne peut que la suivre. La blonde, dédaignant zoé, entraîne sa camarade dans une étreinte pour le moins particulière, sans cesser de s'agiter. Et la brune danse. Avec hésitation et maladresse, certes, mais elle danse. Elle se lâche devant ses camarades comme elle n'avait jamais osé le faire auparavant. Ailleurs que seule devant son miroir, en tout cas. Une expérience qu'elle n'a pas répété bien souvent, son reflet la dégoûtant plus qu'autre chose.

Et elle est persuadée qu'en perdant quelques kilos, elle pourrait être plus agile, se mouvoir avec plus d'assurance. Avec une dizaine de kilos en moins, peut-être. Assez pour quitter ce statut qui la répugne, qu'elle exècre. Assez pour devenir aussi souple et élégante qu'une danseuse étoile, s'emparant de la piste comme si c'était un droit. Et pour la première fois de sa vie, elle s'autorise à rêver en public. Réfrénant la puissante envie de se cacher, elle se calque sur Amélie, suit son rythme, comme si elle était quelqu'un d'autre, se jouant des regards et des jugements. Mais personne ne la remarque vraiment, de toute manière — en tout cas pas la blonde gardant ses yeux entrouverts, un sourire extatique sur le visage. Elle n'ose par contre pas jeter de coup d'œil en arrière, vers Zoé ; se demande quand même ce qu'elle peut bien penser d'elle. Ce qu'elle peut bien penser d'elles, même. Dans le fond de son cœur, elle espère tellement éveiller la jalousie de la rouquine, quand bien même elle ne la mériterait pas. Quand bien même elle ne mériterait pas Zoé.

Mais après tout, pourquoi n'aurait-elle pas le droit de rêver, ne serait-ce qu'un bref instant ?

ColléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant