Collées

23:19

ZOÉ avait plus ou moins décidé de pardonner à Amélie ; pire que ça, elle recommençait à l'apprécier, naturellement. Pourtant, sa réaction après la révélation de Mia lui laisse un goût amer dans la bouche. Elle se sait peut subtil, plus forte pour foncer dans le tas que pour prendre le temps de la réflexion. Elle n'est pas diplomate, ne le sera probablement jamais ; Irina est bien plus douée dans ce domaine. Non, Zoé c'est une fonceuse, le feu aux trousses et un brasier dans le cœur.

Un brasier qui s'embrase devant le regard blessé de Mia. Pourtant, elle s'abstient tout nouveau commentaire. Si sa camarade ne se défend pas elle-même, qui lui dit qu'elle attend que quelqu'un d'autre le fasse à sa place ? Et la rouquine a beau être loyale, elle ne peut pas dire non à la nourriture. Elle avale deux barres chocolatées, arrose le tout avec une boisson énergétique à l'orange. Une recette de Brunet, qu'elle ne peut s'empêcher d'applaudir quand bien même elle déteste la personne. Cette boisson achève de la remettre sur le droit chemin ; elle se sent à nouveau momentanément en pleine forme.

A côté, Mia décline toutes les offres, pendant qu'Amélie goûte avec circonspection une pâte de fruit. Après en avoir mangé la moitié, elle cède le reste à Irina, qui la finit sans masquer un sourire. La seule ici qui dévore comme si c'était son premier repas de la journée, c'est Zoé. Et elle n'en a même pas honte. Elle se sait frêle, constate bien que son physique ne colle pas avec son appétit d'ogre. Et pourtant.

Elle se rappelle que c'était leur premier sujet de conversation avec Cloé ; quand, après avoir engouffrer entrée et plat, elle a demandé à finir l'assiette de sa voisine de table. A la fin du repas, tout le monde était repu, seule la rouquine se serait permise un ou deux desserts de plus.

Elle sourit à ce souvenir et s'attire le regard curieux de Mia.

– J'repensais à un truc. T'es sûre que t'en veux pas ?

Après une hésitation, la jeune fille finit par refuser et Zoé s'empresse d'avaler la barre aux fruits rouge. Elle aura peut-être mal à l'estomac, après cet en-cas si copieux. Ou peut-être pas. Elle a toujours aimé vivre dans le danger, de toute manière.

– Hé, j'aime bien cette chanson, lance-t-elle soudain, éclaboussant la table de miettes de céréales. Ça me tue de l'avouer, mais t'as pas si mauvais goût que ça, Mélie.

La concernée rougit, un léger sourire aux lèvres, presque prête à minauder.

– Tu m'as appelée comment ?

– Bah, Mélie. C'est pas comme ça que tout le monde t'appelle ?

– Seulement mes amis...

Zoé sourit ; un sourire que lui rend la blonde. C'était comme ça qu'elle s'était présentée, le jour où elles se sont rencontrées : « Je m'appelle Amélie Rivière, mais tu peux m'appeler Mélie. C'est comme ça que m'appellent mes amis. » Sur le moment, elle ne voulait qu'instaurer une relation privilégiée avec cette jeune dont elle avait la charge. Pourtant, Zoé s'était bien vite rendue compte que tout le monde l'appelait comme ça. Amis ou pas.

– Enfin bref, reprend-elle, d'une voix détachée. J'aime bien Post Malone.

– Pareil, répond la blonde.

– Sans dec.

Nouveau sourire.

– Moi aussi, j'aime bien, marmonne Mia.

– Moi, bof, intervient Irina.

– Toi, on t'a pas sonnée, lui répond Zoé, avec fougue.

– Toi non plus d'ailleurs.

– C'est vrai. Mais si j'devais attendre qu'on me sonne pour parler...

– Pareil.

Zoé secoue la tête de droite à gauche. Elle ne peut pas totalement comprendre sa camarade, s'imagine pourtant qu'elles sont plus semblables qu'il n'y paraît.

La playlist continue, une chanson succède à la précédente. Et instantanément, Amélie se lève, le poing levé, l'air exalté.

– YO, I'LL TELL YOU WHAT I WANT, WHAT I REALLY REALLY WANT.

Elle commence à sauter dans tous les sens, conviant ses camarades d'un geste de la tête ; pourtant, personne ne daigne la rejoindre sur la piste de danse. Quand elle se précipite vers Zoé pour lui tendre les mains, cette dernière refuse catégoriquement.

– C'est peut-être mieux, oui... chuchote Mia.

Et la rouquine ne sait bien pourquoi, mais sa sollicitude lui noue la gorge. Elle ne veut pas que la jeune fille commence à s'inquiéter, à ne la voir que comme une petite chose fragile, incapable de faire le moindre effort. Après tout, elle a toujours réussi à se débrouiller jusqu'ici. Elle n'a jamais eu de mal à danser, non plus. Même si en général, elle évite de le faire trop longtemps. Et encore moins dans des endroits trop bondés. La salle de cours lui convient donc bien mieux.

– C'est pas ça, j'attendais juste une meilleure chanson, répond-elle dans un soupir. et c'est plus drôle de la laisser s'humilier toute seule, non ?

Elle sourit, un sourire que ne lui rend pas l'adolescente à ses côtés. Alors, elle hausse les épaules.

– Mais pour lui faire plaisir, on peut peut-être y aller, non ? Elle est chiante, mais on est de bonne samaritaines, nous. Tu m'accompagnes ?