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[Plus que 5 chapitres...]

Juin

Dans la salle des profs, la proximité de plus en plus forte des examens se faisait aussi sentir. Les profs de sciences étaient sur le pied de guerre pour préparer les épreuves de travaux pratiques imminentes, les profs principaux finalisaient les bulletins après les conseils du troisième trimestre, et chacun réfléchissait à la meilleure façon de terminer le programme dans le maigre temps qui leur était imparti avant l'arrêt des cours.

Julie avait provoqué un émoi général en annonçant son prochain départ. M. Roussel l'avait chaudement félicité pour son « envie de sortir des sentiers battus de l'éducation nationale ». Elle avait aussi embrasé Facebook avec un message disant qu'elle ferait sa prochaine rentrée à Oslo. Isabelle et Aude avaient l'intention d'organiser une grande fête pour son départ, et Leila devait être l'invitée d'honneur (hors de question que tu t'en ailles avec elle sans qu'on ne l'ait vue, avait affirmé Isabelle).

Elle avait annoncé la nouvelle à ses parents le même soir que Leila. Sa mère était un peu triste de la voir partir, ce qui était une réaction parentale normale, mais elle était aussi ravie. Elle savait que Julie rêvait à la fois de partir enseigner à l'étranger et d'avoir une expérience de vie en Norvège, elle en avait bien souvent parlé. Julie ne lui dit pas tout de suite qu'elle allait partir avec son élève. Elle attendrait sans doute d'être sur place.

Elle trouvait Leila distante, ces derniers temps. C'était probablement dû au stress des révisions. Un jour où elle semblait particulièrement mutique au téléphone, Julie lui posa directement la question.

- À quoi tu penses, Leila ?

Il y eut un blanc, tout d'abord. Puis...

- À mes cours de maths.

- À tes cours de maths ? s'étonna Julie. C'est pas ta réponse joker quand tu ne veux pas dire la vérité, ça ?

Sa petite amie rit au téléphone.

- Je pense à mes cours de l'an prochain. J'espère que... que j'y arriverai.

Julie la rassura du mieux qu'elle put, puis raccrocha afin de la laisser travailler. Leila se mettait une pression monstre pour décrocher la mention TB afin d'obtenir sa bourse. Julie l'encourageait et lui donnait tous les conseils possibles, mais même si Leila n'arrivait pas à avoir cet argent, son salaire norvégien serait largement suffisant pour subvenir à tous leurs besoins (sa paye française était franchement ridicule en comparaison). Elle espérait tout de même qu'elle y arriverait : leur relation était déjà suffisamment déséquilibrée sans rajouter en plus une inégalité financière.

Conformément à leur accord, elles ne se voyaient pas en dehors des cours de maths (et dieu que leurs après-midis ensemble lui manquaient !). Elle ne pouvait même plus compter sur le baby-sitting pour leur fournir un alibi, car en croisant Mme Colas dans les couloirs, sa voisine lui avait dit s'être débrouillée autrement pour ne pas avoir à déranger Leila pendant ses révisions. Julie avait trouvé l'attention touchante, mais elle était quand même déçue.

Enfin, l'avant-dernière semaine de cours s'écoula, puis la dernière. Son ultime journée de cours de l'année s'acheva donc avec la classe de Leila, par un goûter festif et une longue discussion sur le cryptage de données à laquelle participèrent presque tous les élèves du groupe de spécialité maths. Assise sur une des tables, Leila semblait boire ses paroles, ce qui lui rappela cette séance juste avant Noël, alors que l'idée de sortir avec Leila n'était pour elle guère plus qu'une rêverie malsaine. Comme aujourd'hui, Leila l'avait dévorée de ses yeux verts. Elle s'était longtemps demandé à l'époque si c'était autre chose qu'un simple effet de son imagination.

Sa façon d'aimer les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant