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 Sa joue lui faisait mal. Ça faisait cinq jours maintenant, mais elle continuait à brûler et son œil enflé était toujours sensible. C'était encore pire quand il pleurait. Un jour, cette conne de Raphaëlle n'aurait que ce qu'elle mérite, avec son arc débile et ses cheveux minables et moches qu'elle s'entêtait à colorer comme une punkette de pacotille.

Cédric avait passé un sale week-end. Ses deux frères se moquaient encore de son œil au beurre noir (il n'avait pas osé leur dire que c'était une meuf qui lui avait collé une beigne, ils n'en pourraient plus de se foutre de lui), il avait eu une note catastrophique en maths et son père l'avait sévèrement engueulé au téléphone en apprenant la retenue que lui avait collé cette connasse de Pellarin. Il n'avait pas vraiment très envie de rentrer à la maison.

Les maths. Encore une chose qui lui faisait penser à Leila... Au lieu de lui, c'était cette espèce de garçon manqué qui était à sa place à coté d'elle et bénéficiait de son aide précieuse. Et qui copiait sur elle, c'était certain, même si cette idiote de prof faisait semblant de ne rien remarquer. Leila était sa chouchoute, évidemment. Il n'avait jamais pu blairer Pellarin. C'était en partie à cause d'elle si Leila l'avait quittée. Si elle n'était pas intervenue quand ils s'étaient engueulés dans le couloir, peut-être aurait-il su trouver les mots pour s'excuser et montrer à Leila qu'il était désolé.

Penser à Leila lui faisait mal, presque autant que la douleur sur son visage. Cela faisait se bousculer beaucoup trop d'émotions dans sa tête. Il lui en voulait. Toute cette douleur qu'il ressentait, c'était sa faute. Il lui en voulait de l'avoir quitté. Oh bien sûr il l'avait mérité, au début. Il avait joué au con, il s'en était bien vite rendu compte, et qu'est-ce qu'il s'en était voulu ! Mais les lycéens passent leur temps à se séparer puis ressortir ensemble, alors il avait attendu que Leila revienne sur sa décision. Parce qu'elle ne pouvait pas faire autrement, elle l'aimait, non ?

Mais elle ne l'aimait pas. Il avait attendu pour rien. Ça l'avait totalement abattu de voir qu'elle se satisfaisait bien de leur rupture. Cette insensible de Raphaëlle rigolerait bien si elle savait qu'il avait pleuré plus d'une fois, tant le chagrin lui rongeait le ventre. Tout ça pour finalement entendre Leila lui dire qu'en fait c'était pas la peine d'insister, qu'elle avait changé d'avis, qu'elle n'était plus amoureuse. Qu'elle ne l'avait finalement pas aimée tant que ça. Lui était toujours fou d'elle.

Puis elle l'avait embrassée.

Il était déjà bourré en arrivant à la fête, mais lorsqu'elle l'avait serré dans ses bras pour l'embrasser, toutes les vapeurs d'alcools qui l'embrumaient s'étaient évaporées instantanément. Peut-être qu'elle l'aimait, en fin de compte. Avait-elle seulement idée de l'état d'allégresse dans lequel il s'était trouvé, ces quelques jours de janvier ? Pouvait-elle ne serait-ce qu'imaginer la joie qui coulait dans ses veines ? Il voyait déjà leurs nouveaux rendez-vous, les après-midis qu'ils passeraient ensemble, et tous les efforts qu'il avait l'intention de faire pour lui plaire, pour être parfait à ses yeux.

Et tout ce bonheur pour quoi ? Pour que Leila lui dise qu'elle n'en avait rien à faire de lui, qu'elle avait été trop torchée pour réfléchir, qu'elle s'était juste amusée avec lui qui lui était tombé sous la main ? Mais n'importe quel mec qui aurait fait ça à n'importe quelle fille aurait été étiqueté « porc » jusqu'au restant de ses jours !

Comment continuer à l'aimer dans ces conditions ? Il la détestait, maintenant. Elle lui avait fait du mal, elle s'était fichue de lui. Cette histoire de fille qu'elle embrassait avait été le coup de tronçonneuse dans la plaie. Maintenant, elle sortait avec une meuf ? C'était quoi ce bordel ? C'était pas de l'homophobie, contrairement à ce que lui avaient martelé Guérin et les CPE. Il s'en foutait des gays et des lesbiennes, pour lui chacun devrait avoir le droit de tomber amoureux, ou de coucher, avec la personne de son choix. Mais là, c'était de Leila dont on parlait. Sa Leila, putain !

Sa Leila, qui finalement préférait les meufs !

Et il avait été quoi pour elle, alors ? Juste une source d'entraînement, un amusement ? N'avait-il été qu'un crash-test ? Il ne pouvait pas supporter ça. Merde, elle n'avait pas le droit de lui piétiner une fois de plus le cœur !

Il passa devant la statue de Jeanne d'Arc et attendit au feu rouge. Ah, si seulement il avait réussi à lui chopper son téléphone. Qu'est-ce qu'il aurait pu trouver ? Aurait-il vu dans ses sms ce que Leila pensait de lui ? Racontait-elle de la merde sur son compte à l'autre truie de Raphaëlle ? Aurait-il trouvé des photos, ou le nom, de cette meuf à la casquette que Leila avait embrassée ?

- Eh mais...

Avait-il rêvé, était-ce parce qu'il pensait justement à elle, ou bien Leila venait de lui passer juste devant le nez ?

Il tourna la tête presque assez vite pour se briser la nuque. Le scooter arrêté au stop tout au bout de la rue était bien son vespa vert et blanc, avec sa selle en cuir brune. Et c'était sans aucun doute sa queue de cheval rousse qui dépassait du casque vert.

Il n'aurait pas dû faire ça, ça ne servait strictement à rien, mais il voulait savoir pourquoi elle n'allait pas chez elle. Se rendait-elle chez sa meuf ? Il hésita. Et si c'était la meuf de Leila qui habitait là, en quoi ça l'avancerait ? Il tapota son guidon puis haussa les épaules. Ça pourrait toujours lui servir plus tard.

Il mit son clignotant et tourna discrètement à sa suite. À sa grande surprise, elle n'alla pas bien loin. Deux ou trois minutes après le début de sa filature improvisée, elle se garait sur le petit parking d'un immeuble de quatre ou cinq étages. De loin, il la vit ôter son casque et s'avancer vers une porte, sonner, puis entrer. Tout en se sentant un peu stupide, il se gara également et s'approcha de la porte. Il n'y avait qu'une dizaine de noms, sous l'interphone.

- Martin, Colas, Housmane, murmura-t-il en faisant glisser son doigt sur les étiquettes. Nguyen, Letraz, Pellarin...

Il eut soudain l'impression d'un coup reçu en pleine tête. Il se retourna brusquement vers son scooter, garé juste à côté d'une voiture bleu électrique très familière, qu'il n'avait pourtant pas remarqué quelques minutes plus tôt.

- Attends, Pellarin ? La prof de maths ?

Il leva la tête vers l'immeuble. Merde. Et en même temps c'était si évident.

***

(pataper)


Sa façon d'aimer les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant