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Octobre

Le vendredi était la journée préférée de Leila.

Les TP de SVT du vendredi matin étaient vraiment cools. Leur prof, M. Vicente, était un jeune trentenaire aux cheveux longs, avec des grandes lunettes rondes et des chemises à carreaux. Il portait toujours pendant les TP une blouse blanche pleine de badges d'universités étrangères qu'il prétendait avoir visitées. Cédric disait que c'était de la frime, mais Leila s'en fichait, le prof était sympa et les cours intéressants, c'était ce qui comptait. En plus, elle était en binôme avec Raphaëlle, ce qui était un sérieux bonus. Ensuite, ils avaient physique-chimie avec la même prof que l'an dernier, et même si Leila aimait moins la matière, elle préférait largement les expériences aux cours magistraux. Et enfin, la journée se poursuivait l'après-midi par deux heures de maths.

Elle adorait finir sa journée par des cours de maths. Depuis le jour où elle avait osé lui demander des précisions sur les théorèmes impossibles, elle avait pris l'habitude de rester après les cours pour la bombarder de questions. Pellarin, loin d'être pressée de partir, l'avait encouragée à rester dès qu'elle le souhaitait pour poser toutes les questions qu'elle voulait. Il ne lui en avait pas fallu plus. Elle passait désormais les dernières minutes de chaque séance (elle avait toujours terminé tous ses exercices en avance de toute façon) à chercher dans son manuel des détails intrigants qu'elle avait envie de développer. Les cours de Pellarin étaient pour elle comme une toute petite fenêtre ouverte sur un univers gigantesque, et les ombres qu'elles voyait à l'extérieur l'attiraient. Il fallait qu'elle comprenne les imbrications et les implications, qu'elle aille au-delà des nombres, qu'elle distingue et réalise tout ce qu'ils englobaient.

Et Pellarin étanchait sa soif, nourrissait sa passion. Pas une seule fois durant les semaines qui suivirent la prof ne l'avait remballée pour lui dire que c'était hors-programme ou qu'elle n'avait pas le temps (et si c'etait le cas, elle s'excusait platement). Sa première impression, le jour de la rentrée, avait été plus que bonne : sa nouvelle prof de maths était et de loin la prof la plus passionnée et la plus intéressante qu'elle ait jamais eue.

***

Julie referma la porte derrière elle, ôta ses converses (elle avait renoncé aux bottines au lycée, elle ne comprenait pas comment faisaient certaines de ses collègues pour faire cours en talons aiguilles, c'était un mystère pour elle) et lâcha son sac sur sa chaise de bureau, avant de rejoindre Florian sur le canapé.

- Woah, t'as fini super tard aujourd'hui, t'es pas censée finir plus tôt normalement le mardi ?

- Oui, je suis restée un peu, j'ai discuté de maths avec une élève après les cours.

- Encore avec ta matheuse ? demanda-t-il en tournant la tête pour qu'elle l'embrasse sur sa joue barbue. 

- Oui. Leila.

Ça aussi, c'était un gros changement par rapport au collège. L'an dernier, les élèves qui restaient à la fin de l'heure voulaient de l'aide pour finir leurs DM ou pour organiser leur classeur, mais Leila ne restait pas pour des choses aussi triviales. Elles discutaient de mathématiques. Pas de maths de lycée, éternelles successions de calculs et d'exercices, mais de science. La plupart du temps, cela ne dépassait pas la durée de la récréation de l'après-midi, mais Leila s'était lâchée aujourd'hui, et Julie devait bien admettre qu'elle-même n'avait pas fait attention à l'heure. L'élève lui avait posée toutes sortes de questions, sur des sujets qu'elle avait lus dans des revues mathématiques ou sur des résultats que le manuel de Terminale présentait sans expliquer réellement comment ils avaient été obtenus. Julie avait alors réalisé que Leila ne faisait pas que comprendre les maths : elle les appréciait, elle saisissait leur subtilité, et le plus important : elle savait jouer avec eux.

Sa façon d'aimer les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant