Sa façon d'aimer les maths

24

 - Pizza, ça va à tout le monde ? lança Nathalie sans lâcher la route des yeux tandis qu'elle conduisait.

- Parfait ! approuva son mari.

- Trois fromages pour moi, répondit Leila depuis la banquette arrière. Avec un chocolat chaud !

Le dîner fut pris, chose totalement exceptionnelle, sur le canapé du salon devant la TV, les cartons de pizza sur les genoux et le fromage dégoulinant du menton. Ses parents étaient fatigués après la route et ils n'échangèrent que peu de mots tandis qu'ils regardaient le journal de 20h. Leila, qui n'écoutait que d'une demi oreille, sortit « de table » sitôt la dernière miette disparue. Elle ramena les trois cartons vides dans la cuisine et laissa ses parents, qui n'avaient pas eu la possibilité de dormir pendant le trajet, végéter devant la télé.

Elle monta dans sa chambre, prépara son sac pour le lendemain et prit une douche. Elle revint ensuite, toute emmitouflée dans un peignoir, jouer une petite demi-heure à Kingdom Hearts.

- Leila ?

Elle appuya sur pause et se tourna vers la porte.

- Oui m'man ?

Nathalie ouvrit la porte de la chambre. Elle portait une pile de linge dans les bras et ses cheveux étaient enroulés dans une serviette de bain nouée autour de sa tête.

- Tu as cours à quelle heure demain ? Je crois me rappeler que tu commences plus tard que prévu, non ?

- Oui, confirma Leila. J'ai cours à dix heures, les profs de langue sont en voyage scolaire avec les Seconde.

- Ok. On sera partis bien avant, alors essaie de ne pas te rendormir, parce que personne ne sera là pour te réveiller.

- Faites surtout gaffe à ne pas me réveiller à sept heures !

- Ne t'inquiète pas, on fera attention, répondit sa mère avec gentillesse. J'ai prévenu ton père pour qu'il y pense. Il est déjà couché, la route l'a crevé. Bonne nuit Leila, repose-toi bien.

- Bonne nuit m'man !

Peu de temps après, elle entendit sa mère rejoindre son père dans leur chambre. Que n'aurait-elle pas donné pour pouvoir elle aussi aller se coucher dans les bras de Julie !

Sa prof lui manqua soudain et avec une telle violence qu'elle sentit ses yeux commencer à brûler. Elle ne la reverrait pas en classe avant mardi, elles n'auraient pas de moments ensemble avant quoi, mercredi ? Vendredi ? Non, ce n'était pas possible, elle ne voulait pas attendre autant ! Elle se mit à taper du poing sur le matelas, pour essayer de calmer son impatience et sa frustration. Elle avait tellement envie de la revoir...

Leila se mit à envier les adolescents dans les séries TV qui passent leur temps à faire le mur au nez et à la barbe de leurs parents. Elle n'avait jamais fait une chose pareille - mais, réalisa-t-elle, elle n'avait jamais eu de raison pour le faire. Ce soir-là, elle en avait très envie. Elle se mit tout à coup à rêver à une aventure interdite et insensée. Et si elle partait par la fenêtre ? Non mais ça va pas, t'es folle la rouquine. 

Mais sans qu'elle ne s'en rende compte, ses rythmes cardiaques et respiratoires s'accéléraient. Elle s'imaginait sortir en cachette, imaginait Julie lui ouvrant la porte, imaginait le baiser qu'elle avait passé deux semaines à désirer. Comment pouvait-elle aller voir Julie sans se faire repérer ?

Elle réfléchit. Ses parents dormaient, ou presque. Elle pouvait mettre, mettons, quinze minutes pour aller chez Julie à pieds. En comptant rester une demie-heure sur place, elle pouvait espérer être rentrée pour 23h. Elle fit les cent pas dans sa chambre, en chaussettes et pyjama. Et s'ils débarquent pendant que je suis partie ?