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Mars

Les personnes qui disent que les profs ne voient pas ce qui se passe en classe n'ont jamais mis les pieds en salle des profs, songea Julie tandis qu'elle se dirigeait vers sa salle pour un cours avec ses chers Terminale S.

À l'exception des quelques professeurs trop affairés avec la photocopieuse et leur travail en retard, toute l'équipe ne parlait que du dernier potin à la mode : les amours de Leila Rose-Becker.

Julie avait écouté Anissa Lammari, la prof de physique, faire à ses collègues un résumé de la vie sentimentale de Leila depuis le mois d'avril dernier qui était d'une précision effrayante. Sa rupture avec Cédric suite à leur première fois manquée, le baiser au Nouvel An, sa relation avec une fille, tout y était. Ne manquait que les détails concernant une certaine prof de maths.

Fanny Ferrera, une trentenaire brune avec une chemise bouffante rouge et une veste en jean qui enseignait l'espagnol, essayait de convaincre ses collègue de la nécessité de faire intervenir une association de lutte contre les lgbt-phobies (évidemment, Lescure était tout sauf disposé à donner son approbation) et l'équipe de SVT discutait avec l'infirmier du lycée des mesures à mettre en place l'an prochain dans le cadre de l'éducation aux sexualités, afin d'insister avec les Terminale sur l'importance du consentement et du respect dans le couple.

Assise au milieu de cette fourmilière, une tasse de thé refroidie entre les mains, Julie pensait à Leila. Elle n'osait pas intervenir, n'osait pas participer aux conversations ; l'angoisse de laisser transparaître quelque chose était toujours trop forte. Pourtant elle aurait eu des choses à dire, elle savait ce que vivait Leila, ce harcèlement infâme qu'elle subissait depuis son outing, elle l'avait vécu elle aussi.

- En fait tout est une question de représentation, disait Ferrera. Si les élèves voyaient plus souvent des personnes LGBT dans leur entourage, ils ne feraient pas tout un foin chaque fois que l'un d'eux sort du placard !

Silencieusement, Julie hocha la tête.

- Et regarde parmi les enseignants ! T'as déjà vu un prof homo out, toi ? Un prof trans ? Tu crois qu'on aurait le soutien de la direction, ou de l'académie, si on le disait aux élèves ? Pourtant ils ont besoin de modèles, et qui de mieux que nous, leurs profs, pour leur donner ces repères ? Non, poursuivit-elle en secouant la tête, on nous reprocherait de n'avoir pas su garder notre « vie privée » privée, même quand il s'agit de notre identité et qu'elle est totalement publique ! Ah ça, pour coller des affiches gnian gnian avec des arc-en-ciel à l'infirmerie en mode "love is love" il y a du monde, mais quand il s'agit de soutenir les personnels et les élèves concernés, ça s'enterre la tête dans le sable !

La sonnerie retentit, coupant Ferrera au milieu de son discours. Julie se leva. Elle était entièrement d'accord avec sa collègue et pourtant elle ne s'imaginait pas une seule seconde dire à ses élèves qu'elle était lesbienne - elle ne l'avait d'ailleurs jamais dit à ses collègues, ses sentiments imprévus pour une élève de Terminale l'ayant rapidement dissuadée de parler de sa vie privée en salle des profs.

- J'irai le dire à Leila, dit fermement Ferrera tout en rangeant ses affaires dans son cartable en cuir. Qu'elle sache qu'elle a des alliés dans ce lycée pour la protéger.

- Ne t'inquiète pas pour elle, répliqua Anissa avec un petit sourire. Tant qu'il y aura Raphaëlle LeGall avec elle, elle n'aura besoin d'aucune protection !

La professeure de physique ignorait à quel point elle avait raison. En arrivant devant sa salle, Julie se retrouva face à un groupe de Terminale en grande conversation.

- Alors, que se passe-t-il ? demanda-t-elle à Mayada et Célia, qui se trouvaient juste devant la porte.

- C'est rien, répondit l'une en rougissant.

Sa façon d'aimer les mathsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant