31 Août 1830
Un été à la campagne, dans le manoir de son petit-ami et seul avec lui, était le meilleur été que Fryderyk puisse imaginer. Sans doute se passait-il dans le monde des choses affreuses, des guerres, des maladies ou des famines, mais lui avait l'esprit léger, et ne pensait à rien d'autre qu'aux meilleurs légumes qu'il pourrait trouver pour le repas sur ce marché.
Son cœur était empli d'une paix et d'une complétude sans pareille. Il aurait pu profiter de chaque instant de cet été tout droit sorti d'un rêve, mais son insouciance l'amenait à croire qu'il pourrait vivre cette vie et ce sentiment à jamais.
Le sourire aux lèvres à la seule pensée du repas de midi qu'il pourrait préparer, le jeune homme fit balader son regard sur les étals de légumes, trop plongé dans ses pensées pour remarquer les cris des marchands et les commérages des clients.
Il s'était levé tôt ce matin pour se rendre au marché, évitant par là la chaleur de l'après-midi, qu'il destinera sans doute à une sieste. Lorsqu'il l'avait quitté, Tytus dormait encore, si beau et si paisible. Sa présence lui manquait déjà, et il avait hâte de revenir à lui, avec leur repas, s'il trouvait de quoi l'en composer.
Il s'arrêta devant un autre étal, plus petit que le précédent, où étaient entassés nombre de cageots de radis et de haricots verts, dans une pile si haute qu'il se demanda comment le bois sur lequel ils étaient exposés ne se brisait pas.
Il voulut s'adresser à leur vendeur, mais celui-ci était déjà au cœur d'une conversation avec un jeune homme et une vieille femme, et il n'osa pas l'interrompre.
- Toi aussi, on t'a pas prélevé l'impôt? C'est pareil pour les Dąbrowski. Je devrais être heureuse mais je trouve ça louche.
- J'ai entendu que le domaine avait un nouveau propriétaire. Ça doit être à cause de ça. Il doit être en retard pour les prélèvements, sans doute qu'il cherche à en mettre des plus lourds.
- Que Dieu nous en préserve! Et on m'en avertit pas, moi qui foule ces terres depuis soixante-treize ans!
- Eh ben on en entend pas beaucoup parler, du nouveau propriétaire, renchérit le marchand. Paraît que c'est un jeune de la capitale qui a repris le domaine à ses parents.
- Sans doute un petit arrogant qui connaît rien aux affaires... c'est incroyable qu'on laisse notre service aux mains d'un tel incompétent.
- Vous savez, moi tant que je peux vendre mes choux, le propriétaire qu'on a... intervient une femme sur l'étal adjacent. Je dis qu'il en vaut mieux un discret qu'un tyrannique. On a la santé et les récoltes sont bonnes, c'est le principal.
- Quand on a une bonne maison comme vous, et qu'on a hérité des bagues volées de sa grand-mère paternelle, c'est sûr qu'on s'inquiète pas de la montée des impôts! S'exclama la vieille femme.
Au milieu de ce monde, Fryderyk se sentait comme un intrus. Cette ambiance changeait totalement de celle citadine qu'il avait toujours connu, et même aux marchés de Varsovie, on passait plus de temps à parler affaires qu'à se disputer avec son voisin ou médire sur son seigneur.
- Calmez-vous, personne n'a jamais parlé d'une montée d'impôts! Rassurez-vous plutôt qu'on vous aie pas encore assigné de corvée.
La corvée... Tytus serait bien le dernier à assigner cette terrible tâche à quelqu'un.
- Vous, jeune homme, vous semblez bien calme. Je peux vous aider? Je crois pas vous avoir déjà vu par ici.
Il mit un instant à comprendre que le marchand s'adressait maintenant à lui. Il leva ses yeux vers lui, et déglutit. S'il disait qu'il était attaché à leur propriétaire, ça allait mal tourner, au moins pour lui - il allait être dans un embarras total. Au milieu de ces paysans bien pauvres, il se sentait comme un bourgeois, lui qui à Varsovie était le plus simple et modeste des hommes.
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...