Attente

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- J'espère que mon Frédéric va mieux.

Sand releva les yeux de son carnet, le crayon contre sa lèvre, et les posa sur Delacroix, comme si elle en attendait une réponse. Son ami était assis sur le canapé en face du sien, et esquissait au fusain le portrait d'une femme aux atours voluptés.

- Eugène, m'as-tu entendu?

- Hm? Oui, son cœur doit s'être remis de sa blessure, avec ce que je lui ai donné. Sa douleur a bien dû disparaître, au bout de quelques jours.

- Son cœur? Tu m'as dit qu'il était encore tombé malade. J'espère qu'il s'est soigné ; j'aurais aimé qu'il me joue ses nouvelle œuvres. Il ne me les présente jamais, et je m'ennuie. Puis j'essaie de trouver des idées pour mon prochain roman, mais rien ne me vient à l'esprit... pour une fois Marie me manque, elle et ses ragots m'auraient inspirée. Ou même Franz, lui aussi se préoccupe des affaires d'autrui. Où est-il? A-t-il encore du travail? Voilà qu'ils me laissent tous! Je me sens si seule.

Delacroix feint de lui répondre et se contenta de hausser les épaules. Il était davantage intéressé par son entreprise que par le fait de converser.

Sand laissa échapper un soupir mélangeant la lassitude et le mécontentement.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'elle était revenue à Paris, et qu'elle attendait de voir son amant. Celui-ci était malade depuis le soir de son arrivée, lui avait-on dit, et elle n'avait pu le voir depuis. Elle redoutait qu'il ne lui arrive quelque malheur... elle le savait, il ne savait prendre soin de lui-même, et se laisserait mourir plutôt que d'appeler un médecin, si l'on ne venait pas à son secours. Au début de leur relation, elle trouvait cela atendrissant, car elle aimait chérir et prendre soin des autres, mais elle s'avoua que c'était finalement agaçant.

- Maman, on a faim...

Elle releva à nouveau la tête, cette fois-ci pour faire face à sa fille. Maurice se tenait derrière elle, les bras croisés.

- Demandez à Mathilde de vous préparer un goûter.

- Elle est partie faire une course... pourquoi tu ne nous prépares rien?

- Je suis aussi douée en cuisine qu'à garder un comportement de religieuse, se mit-elle à rire. Vous n'avez qu'à attendre son retour.

Solange s'appuya contre l'accoudoir du canapé en gonflant les joues.

- Frédéric il nous cuisinait des bons repas tous les jours, lui. Et même que des fois c'était Monsieur Liszt qui en faisait.

- Vraiment? Rit à nouveau leur mère. Je savais Franz doué de ses mains, mais il me surprendra toujours. Et pourquoi vous faisait-il le repas? Alliez-vous chez lui?

La jeune fille vint s'installer sur les genoux de sa mère, et posa sa tête contre elle tandis que cette dernière passait son bras autour d'elle.

- Non, Monsieur Liszt était très souvent avec nous chez Frédéric.

Sand embrassa sa fille sur le front, tout en affichant un sourire.

- C'est normal après tout. Ils travaillent régulièrement ensemble pour leurs concerts.

- Même s'il mangeait presque tous les repas avec nous et qu'il dormait avec Frédéric?

- Comment...?

- Il nous a fait sortir de sa chambre et a mis notre matelas dans le salon, bougonna Solange.

- Vous deviez être trop bruyants pour lui. Et lui en vouloir n'est pas une raison pour dire des mensonges sur Franz et lui.

- Mais ce n'est pas...

- Pourriez-vous baisser le ton? Leur demanda Delacroix d'un air désintéressé. Il m'est impossible de me concentrer.

- Eugène, pourquoi ne nous dessinerais-tu pas? Lui proposa son amie.

- Volontiers, seulement plus tard, je suis déjà fort occupé.

Maurice, curieux, s'était approché pour voir son travail, et rougit immédiatement en y posant les yeux. Néanmoins il se tut, et détourna vivement le regard. Il n'apprenait pas ça, dans les cours de dessins qu'il lui donnait.

- Qu'as-tu écrit, maman? La questionna Solange en lui prenant le carnet de la main.

- Ce sont des notes pour un possible roman. Cependant je ne trouve aucune intrigue qui puisse être utile de quelque façon.

- Quand on était chez Frédéric, j'ai écrit une histoire moi aussi !

- Et de quoi parlait-elle?

- C'était l'histoire d'un gentil dragon qu'une princesse courageuse allait sauver. C'est parce qu'il m'a raconté une histoire en Pologne où un dragon efffrayait la population, et qu'un chevalier l'a tué.

- Ce sont de vieilles légendes. Nous en avons de pareilles, en France.

- Est-ce que Frédéric est guéri? Questionna Maurice. Eugène a dit qu'il était indisposé quand il est venu nous chercher au théâtre...

- Les sujets de conversation tournent décidément beaucoup autour de lui aujourd'hui, remarqua ce dernier.

- Je ne sais pas. Nous n'aurons qu'à lui faire envoyer un billet, et s'il se trouve être de meilleure santé, nous irons le voir. À part cela, que diriez-vous d'organiser une réception ici-même, demain soir? Je m'ennuie et je veux me tenir au courant des derniers faits de mes amis. Je vais profiter encore un peu de Paris avant de rentrer à Nohant, et revoir aussi mon éditeur. Par ailleurs je dois vous trouver d'autres précepteurs... Eugène, ne peux-tu pas t'en occuper?

- N'y compte pas. Ce sont tes enfants, non les miens.

- Quel ami loyal tu es. Peu importe, je m'en occuperai plus tard. Je vais d'abord m'occuper de cette réception.

Elle reprit son carnet, et nota les noms de chacun à inviter. Voilà qui lui changera les idées.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant