Les méandres de l'Amour

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- Est-ce que tu l'aimes, ton Frédéric?

La jeune femme leva la tête de son livre. Elle était nue et allongée sur le lit, auprès de Delacroix, tout aussi dévêtu qu'elle, dans la même position, mais avec un crayon et une esquisse dans les mains.

- Tu es jaloux?

- Aucunement ; je suis curieux.

- Bien sûr que je l'aime.

- Il ne t'agace pas, parfois?

- Pourquoi crois-tu que je ne l'invite pas à venir habiter chez moi?

- Dis-moi pourquoi tu le trouves agaçant, sourit-il comme une commère sur le point d'entendre un ragot croustillant.

Elle haussa les épaules, et étira ses bras.

- Il est difficile de lui faire connaître d'autres centres d'intérêts que les siens. Si tu ne lui parles pas de musique ou de littérature, c'est presque s'il ne fait pas la tête en t'écoutant. Et c'est le même procédé si tu veux lui faire quitter sa chambre. S'il est d'assez bonne humeur, il n'hésitera pas à faire d'effort, enfin... Puis il est constamment malade! C'est une plaie de s'en occuper lorsqu'il est dans cet état. Il se plaint en permanence, et il ne peut rien faire tant son corps et son esprit sont faibles. Ce serait une horreur d'être son épouse, l'on s'ennuyerait bien. Je prie pour qu'il ne se marie jamais.

- Tu veux le garder pour toi seule?

- Peut-être bien, lui sourit-elle en embrassant sa joue.

Elle se tourna, et observa longuement le tableau à peine ébauché dans le coin de la pièce.

- Tu sais que je trouve vraiment tes peintures magnifiques?

- Et toi tu écris merveilleusement bien... en particulier dans les lettres que tu m'envoies~.

- Si cela peut te rassurer, il n'y a pas qu'à toi que j'en envoie de la sorte~...

Ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre, et leurs visages étaient si près qu'ils pouvaient sentir le souffle de l'autre.
Delacroix avait posé son matériel, et lui prit la main, qu'il regarda avant de lever ses yeux.

- Puisque nous en sommes venus à parler de ton Frédéric, il me semble très proche de ce Franz Liszt.

- Eh bien, ils sont amis après tout. Ennemis aussi, parfois, lorsque Franz est frustré de ne pas avoir autant de reconnaissance que lui. Mais ils sont proches.

Delacroix sembla réfléchir un court instant, et reprit en caressant sa main :

- Lorsqu'ils ont fait livrer le piano, l'autre jour, Liszt avait demandé à Frédéric deux jours de câlins infinis en échange de le raccompagner chez lui.

- Frédéric est une personne qui a besoin d'affection. Je suppose que Franz a voulu lui faire plaisir.

- Tu ne sais vraiment rien?

- Savoir quoi? Je sais qu'ils sont proches l'un de l'autre, il nous est déjà arrivé d'en rire avec Franz, qui me charrie pareillement avec Marie.

- Je pense que cette histoire est bien plus sérieuse que tu ne le crois.

La jeune femme se mit à rire.

- Que vas-tu donc t'imaginer? Puis je sais que Frédéric n'aime que moi.

- Tu l'aimes en retour, et pourtant cela ne t'empêche pas de passer du bon temps avec moi ou avec d'autres hommes. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour lui? J'ai fait des recherches, tu sais. Ton Frédéric, il était fou amoureux d'un homme prénommé Tytus Woyciechowski, dans sa jeunesse.

- Tu crois que je ne suis pas au courant? Tu es naïf. Et cela veut dire qu'il est fou amoureux de Franz?

- Pas forcément. Seulement, s'il prend Franz Liszt pour ce Tytus...

- Je n'ai que peu entendu parler de ce Tytus, et pourtant je pense qu'il ne ressemble en rien à Franz.

- Cela n'empêche rien. Ton Frédéric recherche de l'affection, tu l'as dit toi-même. La personnalité de la personne qui lui donne lui importe peu.

- Tu parles de lui comme s'il était un chaton abandonné.

- Parfois, il y a peu de différence...

Elle se redressa, et appuya son visage sur sa main.

- Eugène, Frédéric a peut-être l'air sensible et sentimental en apparence - et il l'est, mais il est bien plus profond et sensé que ça.

- C'est pour cela que tu l'aimes.

- Pour quoi?

- Parce que contrairement à moi, Musset ou d'autres, il t'aime d'un amour sincère. Et profond, comme tu le décris si bien.

La jeune femme marqua une pause. Avant de reprendre en détournant le regard :

- Je l'aime, car il est tout ce qui me retient à une stabilité dans ma vie. Je me sens femme libre, mère indigne, écrivaine, homme, femme d'esprit, mais avec lui, je me sens respectable, presque innocente.

- Ce que tu n'es sûrement pas avec moi ou avec d'autres...

- Exactement. Cela ne me dérange pas d'avoir cette réputation ; après tout je l'ai choisie. Mais Frédéric n'a pas d'à priori sur moi, ne me juge pas. J'y suis habituée, mais c'est agréable.

- Il est donc aussi pur et innocent qu'un saint.

- Ne te détrompe pas, mon cher! Rit-elle. Au lit il est l'homme le plus dévergondé que je connaisse. Il est capable de supporter un coup de martinet sous lequel toi, tu te mettrais à pleurer.

- Mais fait-il monter davantage le désir en toi que je ne le fais...? Soutint-il en l'attirant à lui et en posant son front contre le sien.

- Plus que tu ne l'imagines... tu ne peux savoir l'état dans lequel cela me met, de le voir me supplier si désespérément, d'entendre ses cris de plaisirs lorsque je serre une cravate autour de son cou ou lorsque je frappe progressivement chaque partie de son corps...

Ils s'embrassèrent, et leurs corps entrelacés ne tardèrent pas à mener une danse différente.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant