Compréhension

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Marie hésita, et frappa quelques coups à la porte. La dernière fois qu'elle était venue ici, elle avait trouvé une inconnue dans le lit de son amant. Mais elle avait besoin de lui parler. Pour soulager sa conscience, et remettre les choses au clair. Même si elle doutait de l'efficacité de la conversation.

Finalement, personne ne vint lui ouvrir, et elle entra d'elle-même. Elle finissait par s'habituer à être ignorée...
Elle s'avança dans le couloir, percevant quelque mélodie joyeuse. Mais ce n'était pas Franz qui jouait. Elle saurait reconnaître son jeu passionné et brusque entre mille, et ce jeu léger n'était définitivement pas le sien.

Encore une maîtresse qui se mettait à son aise? Cette fois elle n'allait pas mâcher ses mots!

Elle empoigna sa robe en serrant les poings, s'empressant d'aller au salon. Mais son soudain emportement retomba pour laisser place à la surprise lorsqu'elle vit qui était réellement installé à l'instrument. D'ailleurs, elle aurait dû s'en douter.

- Monsieur Chopin... bonjour. Excusez mon dérangement. Franz n'est pas là?

Le jeune homme leva à peine les yeux vers elle, concentré sur son clavier.

- Madame d'Agoult, bonjour. Hélas, il est allé boire avec son éditeur, Monsieur Benacci, pour négocier le prix de l'impression de ses arrangements. Je doute qu'il ne soit de retour avant la tombée de la nuit. Voire demain matin.

- Je vois... fit-elle en baissant les yeux, comme si elle s'y attendait.

- Mais vous pouvez l'attendre, bien sûr. Vous pouvez même dormir ici. Mademoiselle Pauline est chez Amantine, elle ne vous gênera donc pas.

Marie s'avança à pas lents vers un canapé, avant de s'y laisser tomber.

- C'est vrai que Franz lui donne des cours en ce moment... comment vont-elles? George ne cesse de faire des allers-retours entre Paris et Nohant. J'aimerais que Franz m'y rejoigne, mais je sais qu'il est occupé ici avec ses concerts.

- Oui, cette semaine encore il en a plusieurs de prévu.

- Et vous? Quand sera votre prochain?

- Je n'ai pas encore décidé. Mais je préfère me concentrer sur la composition.

- Je crois avoir entendu que donner une performance publique vous mettait mal à l'aise.

- C'est... c'est la cas, oui.

- D'ailleurs, je ne voudrais pas sembler indiscrète, mais... pourquoi êtes-vous ici, exactement? Je crois pourtant savoir que vous avez un appartement à Paris.

Il se mordit la lèvre. Il se voyait mal lui dire qu'il avait passé la nuit ici et qu'il aimait profiter du placard de nourriture.

- Mon... piano s'est désacordé. Comprenez que je ne pouvais pas travailler dans ces conditions. Comme nous habitons tout près, Franz m'a généreusement laissé me servir du sien.

Il détestait mentir, mais il y avait des situations où c'était vital. Heureusement, Marie sembla y croire, hochant doucement la tête.

- Je vois... il doit passer un bon moment, tiens, avec cette éditeur. Je ne suis pas là pour l'ennuyer...!

- Que dites-vous, enfin? Vous comptez pour lui.

Il continua de jouer, les yeux toujours sur le clavier, essayant tout à tour plusieurs notes, en jugeant la meilleure suite.

- Je compte pour lui, en voilà une sottise, cracha-t-elle en croisant les bras. Il ne reste avec moi que parce que je lui ai donné une fille, et qu'il culpabiliserait... sinon, il me quitterait comme toutes les autres! Pourquoi lui fais-je encore confiance? S'emporta-t-elle en se levant, et en se mettant à faire les cent pas.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant