1820
- Arrête! Arrête tout! Mais comment peux-tu ne rien retenir?!
Le garçon se mordit la lèvre et cessa son jeu, tout en retirant ses doigts des touches pour les mettre sur ces genoux.
- Félix, nous recommençons ces accords depuis ce matin! Et tu ne parviens toujours pas à les jouer correctement!
Il baissa les yeux.
- Pardon, père...
- Même ta sœur y parvient! Tu veux te montrer plus faible qu'une femme?!
- Non... mais si Fanny est meilleure que moi, pourquoi n'est-ce pas elle qui prend ces leçons?
- Elle a d'autres occupations. Et la tienne et de parvenir à jouer cette sonate. Quand je repense à cet Adam Liszt dont le fils joue la plus difficile des œuvres devant les plus grands! Beethoven a même assisté à l'un de ces concerts! Et il est à peine plus âgé que toi ! Pourquoi n'est-ce pas aux tiens qu'il vient?! Tu es encore trop incapable!
- Pardon, père... je vous assure, un jour je serai meilleur que lui. Je serai même meilleur que Mozart!
- Tu as onze ans, et tu n'as pas encore écrit d'opéra, à ce que je sache. Tu es mal parti mon garçon. Trêves de bavardages, reprends.
- Mais j'ai mal aux doigts...
- Crois-tu que Mozart c'est justement plaint de ces acommodités? Continue.
Sans conviction, il reprit son jeu, et son regard d'abord fixé au clavier se porta au-dessus du piano, jusqu'à se poser sur sa sœur et sa mère assise chacune dans un fauteuil devant le feu. Leurs mains étaient occupées à broder, et il contempla de loin cette tâche habile. Comment pouvait-on user de ses doigts si rapidement et gracieusement...?
- Félix! Cesse! C'est encore pire qu'auparavant!
Il s'arrêta, cette fois moins brutalement que la première fois, car il était dans ses pensées. Il regarda son père sans trop comprendre.
- C'en est assez. Va. Tu n'es absolument pas concentré. Nous reprendrons plus tard.
Il se leva, jetant seulement un rapide coup d'œil à son père qui se massait les yeux.
- Lea, viens. J'ai à te parler, déclara celui-ci.
Il vit sa mère poser son ouvrage, et se lever elle aussi. Il les observa sortir de la pièce, sans trop savoir quoi en penser.
- Tu as déçu père, avança Fanny.
Il haussa les épaules, et vint s'asseoir à la place de sa mère.- J'en ai assez de jouer du piano. Je n'y arrive pas et père s'énerve.
- Il faut bien que tu y parviennes. Ou alors tu seras banquier.
- Non merci ! Toi tu sais jouer, pourquoi il ne te laisse pas faire?
Fanny resta silencieuse. Un air néanmoins teinté de regrets se lit sur son visage.- Je ne peux pas. J'ai un autre devoir. Puis c'est toi qui es trop mauvais, ajouta-t-elle pour le détourner de ce sujet.
- Pas du tout! C'est juste difficile.
- Comparé à la broderie, je trouve le piano bien plus facile. Tu ne t'y piques déjà pas les doigts.
- Ça a pourtant l'air plus simple. Moi je préférerais faire ça. Au moins tu ne te fais pas disputer si tu te trompes.
- C'est parce que ça ne se voit pas toujours, et que tu peux le défaire. Alors que tu ne peux pas défaire une fausse note. Elle a été jouée. Mais c'est ça qui est intéressant. Le fait de vivre avec ses erreurs est bien moins lâche et plus amusant que de les effacer.
- C'est ennuyeux ce que tu dis. Je vais jouer avec Wolfgang. Où est-il?
- Je ne sais pas.
- Il est ici Monsieur, lui dit une servante qui était présente devant la fenêtre depuis un moment, en s'empressant d'attraper le lapin dans sa boîte de peur de voir naître un caprice.
- Je ne savais pas qu'il était sur cette commode. Il m'a peut-être entendu jouer. Viens Wolfgang, sourit-il en le prenant dans ses bras. Tu es tout beau avec ton pelage gris.
Fanny continua sa broderie d'un geste automatique. Si elle enviait son frère en cet instant, elle ne se doutait pas qu'une fois adultes de sera l'inverse.
~ 🎼 ~
-
Voilà pour vous Madame!
Le garçon posa les livres sur le comptoir, sous les yeux surpris de son père et de la cliente.
- Quel adorable garçon! S'exclama celle-ci. Ce sont exactement les ouvrages que je cherchais.
- Je connais cette librairie comme ma poche, lui sourit-il.
- Merci, dit-elle en posant les quelques pièces sur le bois et en mettant les livres dans son sac. Cette librairie était difficile à trouver mais je ne le regrette pas, je reviendrai.
Elle leur tourna les dos, et une fois qu'elle fut sortie, l'homme regarda son fils en s'appuyant sur le comptoir.
- Tu as encore bien travaillé aujourd'hui Robert, félicitations.
- C'est car tu m'as promis le dernier livre de Byron si je t'aidais... puis-je l'avoir maintenant?
- Je t'ai dit ça juste pour te motiver. Grâce à toi, on va pouvoir bien manger cette semaine. Ce livre, je ne l'ai pas, puis c'est très mauvais pour toi de lire des œuvres si... tristes. Ne veux-tu pas plutôt lire les romans d'amour de ta mère?
- Ce n'est pas triste! C'est très profond, et très beau. Tu ne peux pas comprendre.
- Vraiment? Dit-il en haussant un sourcil. Qui est l'adulte ici?
Le garçon ne répondit rien, et commença à ranger sur une étagère des livres entassés sur une table, pour s'occuper l'esprit.
- Plus tard, je voudrai être écrivain comme lui.
- Ce n'est pas une très bonne place, avoua son père qui l'observait faire, une main appuyée sur sa joue et soutenant son visage.
- Alors je serai journaliste.
- Je crois que c'est encore pire. Comment gagneras-tu ton pain?
- Hm... j'épouserai une femme riche qui m'offrira tout ce que je voudrai, et elle paiera mes tirages.
- Voyez comme il est ambitieux, rit-il. Je suis tout de même déçu. J'ai toujours pensé que tu reprendrais la librairie de tes chers parents... tu as toujours été le plus curieux de nos enfants, et il n'y a que toi qui t'intéresse aux livres.
- Ils m'intéressent car l'on peut y apprendre des tas de choses. Comme à l'Université... j'aimerais beaucoup y aller plus tard.
Son père prit un air pensif.
- Ça sera difficile, mais si nous économisons assez, cela pourrait peut-être se faire. Mais il faudra que tu sois sage, et que tu nous aides à la librairie.
- Tout ce que tu voudras. Tant que je peux lire tous les livres, je ferai ce que vous voudrez.
- Tous, oui, mais pas ceux de la dernière étagère du haut là-bas, d'accord? Ils ne sont pas pour les enfants. Et si tu nous aides assez tu pourras aussi continuer de passer du temps dans ma bibliothèque le dimanche.
Il lui envoya un grand sourire.
- Merci ! Je vais finir de ranger tous ces livres avant de soir!
Et il s'y mit sans tarder avec vigueur.
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...