- Moi, je sais peindre à l'aquarelle, contrairement à vous.
- Taisez-vous! Ce n'est pas la couleur qui compte : c'est la technique.
Mendelssohn posa son crayon à papier, et regarda son homologue qui, lui, ne cessa pas son esquisse.
- Liszt, cela ne vous suffit pas de me défier au piano? Vous voulez aussi me défier au dessin?
- Je dessine mieux que vous, et vous le savez!
Et puis il ne pouvait pas se taire? Cela le déconcentrait!
Il leva de nouveau ses yeux sur le paysage. Assis sur un banc au bord de la Seine, aux côtés de ce riche Monsieur Parfait, Liszt s'évertuait a bien représenter les quais du fleuve et ses maisons. Dessiner Chopin de profil, c'était une chose, mais reproduire ce décor aux détails innombrables, c'était au-dessus de sa portée. Mais il n'allait sûrement pas l'avouer à Mendelssohn.
Ce dernier était revenu à Paris avec Schumann, et alors que Liszt se promenait avec Chopin, ils s'étaient tous les quatre retrouvés par hasard - merci Dieu. Ce dernier avait aussitôt filé avec Chopin il-ne-savait où, le laissant seul avec celui qu'il pouvait à peine supporter. Il n'avait pas fallu longtemps pour qu'une nouvelle bataille ne naisse. Ils avaient filé acheter du matériel à dessin, et s'étaient aussitôt installés sur ce banc où ils étaient depuis maintenant plus d'une heure, faisant fi des passants pourtant nombreux et bruyants.
- Et comme je le disais, vous, vous ne savez même pas peindre. Je parie que vous n'avez même jamais essayé la peinture.
Liszt serra son crayon dans son poing, et dû se retenir pour ne pas barrer son esquisse.
- Je ne suis pas aussi riche que vous, voyez-vous, je n'ai pas, depuis l'enfance, un père banquier qui m'achète tout ce que je lui demande!
- Eh bien, je peux vous prêter mon aquarelle, vous le souhaitez. Je peux même vous apprendre.
- Non merci!! Vous voulez m'humilier davantage, c'est ça?!
- M... Mais non...
Mendelssohn l'observa en haussant un sourcil, décontenancé. C'est vrai que c'était drôle, parfois, de le mettre en rogne, mais de là à ce qu'il s'énerve si facilement alors qu'il voulait lui offrir son amitié, pour une fois, ce n'était pas pratique.
- Vous savez, reprit-il d'un ton toujours calme, moi, je sais dessiner les portraits, mais je suis bien meilleur en paysages.
- Eh bien moi, je sais faire les portraits. Enfin, surtout de profil. D'ailleurs, moi, je sais écrire! Savez-vous écrire, vous? Un jour, j'écrirai une biographie entière sur Frédéric. Seriez-vous capable d'écrire une biographie entière sur autrui?
Mendelssohn manqua de lui répondre qu'il était étonné, qu'il ne pensait le voir écrire que sur lui-même, mais finalement il s'abstint. Mieux valait ne pas le mettre en colère davantage. Surtout avec tout ce monde autour...
- Non, Liszt, je n'en suis pas capable. Voilà un domaine où vous êtes meilleur que moi.
- Et la cuisine! Je suis bien meilleur cuisinier que vous. Et surtout, je n'ai pas des servantes qui sont aux petits soins avec moi! Je dois me débrouiller.
- En effet...
- Et à la messe? Y allez-vous, tous les dimanches? Avez-vous réalisé tous les sacrements? Priez-vous Dieu chaque soir avant de vous coucher? Voilà : vous n'êtes sûrement pas un aussi bon fidèle que moi.
- Liszt, je suis juif.
- Eh bien... peu importe les sacrements des juifs, vous ne les avez sûrement pas tous réalisés!
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...