- Maître, regardez cela! J'ai composé une variation de "À vous dirais-je maman"!
Alors qu'il était accoudé à son bureau, Czerny releva la tête vers son élève, surpris de le voir. Leur leçon était dans une heure pourtant, et il n'avait même pas frappé avant d'entrer. Mais il n'y accorda pas d'importance, et lui sourit en posant sa plume.
- Eh bien, Franz, c'est une très bonne chose, cela a dû vous entraîner. Cependant vous devriez savoir que Mozart en a déjà fait une, douze même exactement. Enfin, je serais tout de même curieux d'entendre la vôtre.
- Justement! J'ai fait une variation de celle de Mozart! La troisième, car c'est la seule dont je me souvenais.
- Une variation d'une variation? Rit-il. Il doit y avoir beaucoup de notes.
- Mais plus il y a de notes, plus c'est technique. Et plus c'est technique, plus ce sont des compositions que moi seul peut jouer!
- La vanité n'est pas une vertu pour un pianiste, mon cher Franz, dit-il mi-amusé, mi-sérieux. Il va falloir apprendre à être plus modeste.
- Je le suis! Alors s'il vous plaît Maître, lisez ma variation et dites-moi ce que vous en pensez.
Czerny attrapa ses lunettes et se les mit sur le nez, et se tourna complètement vers lui avant de prendre la feuille.
- Alors, voyons cela...
Satisfait, Liszt mit ses mains derrière son dos, observant son maître plus concentré que jamais avec un sourire fier.
- C'est intéressant. Vous avez bien agencé le début, mais l'on dirait que vous vous êtes fatigué par la suite. Il y a bien plus de notes au début de votre partition qu'à la fin. En soi c'est une bonne chose, car vous avez pris conscience de votre surplus de notes. Sauf qu'une composition doit être régulière et égale pour être mélodieuse.
- Mais la variation, est-elle jolie?
- En bien... oui, elle l'est, mais que si l'on distingue correctement ses parties. En fait, vous avez tant changé son rythme que l'on dirait différents mouvements. Vous devez être plus droit.
- D'accord... fit-il, déçu.
- Vous prenez aussi des cours de composition avec Antonio Salieri, n'est-ce pas? Ne vous a-t-il pas appris à réguler le rythme de vos créations? Surtout si vous travaillez sur du Mozart, vu que c'est lui que vous avez décidé de reprendre, ce point-là est important.
- Je ne me souviens pas de tous ses cours! Puis à chaque fois que je veux jouer du Mozart, Salieri se met à pleurer. Ce n'est donc pas avec la base de ses compositions que j'ai appris à composer!
- Je vois...
- Dites, pourquoi n'avez-vous pas d'épouse?
- Eh bien! Pourquoi cette question, soudainement?
- Répondez...
- C'est seulement que cela ne m'intéresse pas. Une épouse, c'est encombrant, l'on doit s'en occuper, lui être fidèle... je préfèrerais encore finir dans les ordres. J'ai déjà du mal à vivre seul, je ne pourrais pas vivre avec une épouse ou un famille. Pouvons-nous revenir à notre sujet à présent? Approchez-vous davantage, je dois vous montrer une chose.
Liszt obéit, et vint s'appuyer sur le bureau en le regardant avec curiosité. Czerny y posa la feuille, pour mieux lui montrer.
- Je dois aussi vous dire de soigner vos partitions. Bien sûr ici vous ne faites que me la présenter, et ce n'est qu'un brouillon. Mais si vous destinez vos compositions à un éditeur ou à un commanditaire, surtout n'écrivez pas au crayon à papier, et aussi mal! Privilégez l'encre de Chine, et soignez l'écriture des notes, dussiez-vous recopier la partition pour son destinataire. Elles doivent être belles, mais pas seulement à l'écoute, à la vue aussi. Disons que les manuscrits comme celui-ci sont des croquis, et que votre partition finale, à l'encre, est le tableau final.
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La mélodie des sentiments
Ficção HistóricaUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...