Soirée

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Comme la foule, il applaudit. Sur scène, Liszt saluait pour la énième fois. Il n'avait pas compté.

Le pianiste disparut derrière un rideau, et cette fois il ne revint pas. L'on commença alors à se lever, et dans un petit brouhaha, la salle commença à se vider.

Pourtant, Chopin ne les imita pas. Il demeura assis. Il attendit que tous furent sortis pour se lever à son tour.

Lorsqu'il vit son homologue revenir sur la scène et inspecter l'instrument pour vérifier que rien n'était abîmé, il descendit les petits escaliers jusqu'à elle. Les mains dans les poches de son manteau qu'il n'avait pas dévêtu du concert, il leva la tête vers lui, un léger sourire aux lèvres.

- Ta prestation était... spectaculaire. Ton jeu était époustouflant. Je ne saurais que dire d'autre dessus.

- Je me disais bien t'avoir aperçu dans le public, lui dit Liszt, et il ne sut s'il l'avait écouté ou non. Cela faisait longtemps que tu n'étais pas venu à l'un de mes concerts.

Si c'était pour entendre ses œuvres massacrées, il avait préféré s'abstenir. Enfin, il exagérait. Certes, il en massacrait, mais il en enjolivait aussi.

- En effet.

- Enfin, je suis rassuré que ma prestation t'aie plu. Si elle te plaît, elle peut plaire à tous.

- Je ne connais pas un Homme qui ne puisse pas être diverti par tes prestations - pour le meilleur et pour le pire. Allez, descends maintenant, j'ai une chose à te demander.

Il s'exécuta, descendant de la scène sans la contourner. Lorsqu'il se présenta devant lui, il remit sa veste et ses cheveux en ordre - une mèche derrière son oreille.

- Parle-moi.

- Ton concert m'a plu. Et je suis d'assez bonne humeur. Pourquoi n'irions-nous pas au restaurant pour fêter sa réussite?

- Et avec quel argent? Nous ferions mieux d'aller boire une bière.

Chopin jeta un œil à la petite pile de billets qu'il avait dans sa poche.

- Ne t'en fais pas. Je t'invite. Mon père m'a envoyé la bourse plus tôt ce mois-ci, se justifia-t-il à son regard inquisiteur, même s'il n'aimait pas mentir.

Mieux valait qu'il ne connaisse pas l'origine de ces billets. Heureusement, il le crut, et haussa les épaules.

- Soit. Je ne peux que t'en remercier. Je te laisse choisir l'adresse.

Il acquiesça, et s'apprêta à remonter les escaliers avant qu'il ne l'arrête.

- Attends. Il vaut mieux sortir par l'arrière. Si nous sortons par l'entrée principale, toutes les jeunes femmes hystériques plongeront sur moi.

Il aurait aimé pouvoir penser que son ego parlait et qu'il exagérait, mais il avait sans doute raison.

- Je suis d'ailleurs surpris que tu veuilles passer cette soirée en ma compagnie et non dans leurs bras, dit-il avec ironie.

- Ce n'est pas tous les jours que tu m'invites. Et j'ai envie de passer une soirée calme ; et il n'y a qu'avec toi que je trouve la paix.

Il s'en sentit flatté.

Il le suivit dehors puis dans les rues, encore assez animées à cette heure.

Finalement, ils finirent par rejoindre un restaurant en peu de temps. Un restaurant des plus luxueux, mais Liszt ne dit rien lorsque son compagnon l'y mena. Ce n'est qu'une fois assis, lorsqu'il le vit sortir plusieurs billets de sa poche pour les compter, qu'il fit une remarque.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant