Rêves

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- "Plus étrange que vrai. Jamais je ne pourrai ajouter foi à ces vieilles fables, ni à ces jeux de féerie. Les amants et les fous ont des cerveaux bouillants, une imagination féconde en fantômes, et qui conçoit au delà de ce que la froide raison peut jamais comprendre. Le fou, l'amoureux et le poète sont tout imagination. L'un voit plus de démons que l'enfer ne peut en contenir ; c'est le fou ; l'amoureux, non moins extravagant, voit la beauté d'Hélène sur un front égyptien. L'œil du poète, roulant dans un beau délire, lance son regard du ciel à la terre, et de la terre aux cieux ; et comme l'imagination donne un corps aux objets inconnus, la plume du poète leur imprime de même des formes, et assigne à un fantôme aérien une demeure et un nom particulier ; tels sont les jeux d'une imagination puissante ; si elle conçoit un sentiment de joie, elle crée aussitôt un être, messager de cette joie : ou si, dans la nuit, elle se forge quelque terreur, avec quelle facilité un buisson devient un ours!"

- C'est joli, et vrai. Mais je préférais tout de même lorsque tu jouais la dispute entre Hermia et Hélène.

Mendelssohn retira son livre du devant de ses yeux, et cessa ses cent pas pour regarder son homologue qui était assis sur son lit.

- J'y ai été trop expressif, je crois. J'espère que je n'ai pas dérangé mon père.

- Ton père est distrait et commence à être sourd. Il ne se serait même pas rendu compte que nous sommes rentrés de Paris si l'on avait pas soupé avec lui.

- Tu n'as pas tort. Ah! Ma gorge me fait souffrir à présent que j'ai trop lu. Où est la glace?

- Sur la table de nuit. Mais tu l'as terminée tout à l'heure.

- Ce n'est pas vrai... Angelika, apportez-moi à nouveau de la glace! Ordonna-t-il en ouvrant la porte, et en la refermant aussitôt. Où en étais-je? Non, je n'ai plus envie de jouer, lâcha-t-il se laissant tomber sur le lit.

Il laissa un silence s'installer, jusqu'à demander en relevant la tête, un instant plus tard, en remarquant les piles de papiers devant lui :

- Au fait, que fais-tu?

- Je relis mes articles. Je sélectionne ceux qui seront les plus aptes à paraître dans le prochain numéro de ma revue.

- Je parie que tu vas publier ceux que tu as écrit sur moi.

- Je ne sais pas encore. Je me suis dit que j'attendrai que tu publies de nouvelles œuvres.

- Dans ce cas, je crois que tu peux les mettre de côté.

- Tu viens de me jouer le Songe d'une nuit d'été pour la énième fois. Ne voudrais-tu pas faire plus qu'une ouverture dessus? Tu pourrais en faire tout un opéra.

- Je n'en ai pas la force. Mais puisque j'en ai fait le début, je peux en faire la fin, oui, c'est une bonne idée, au moins pour m'amuser. Il faudrait une mélodie très joyeuse. Et grandiose! Ce n'est pas le mariage d'un seul couple, mais de trois.

- Te voilà inspiré, tu vois.

Il se redressa, et se leva pour aller jusqu'à son bureau et attraper des feuilles et un crayon à papier. Lorsqu'il revint s'installer sur le lit, Angelika entra dans la pièce pour y déposer une nouvelle coupe de glace et repartir aussitôt, mais il y fit à peine attention.

- Inspiré... le mot est fort. Rien ne me vient. La glace me donnera de l'inspiration, dit-il en se mettant en position assise et en prenant la coupe pour la mettre devant lui.

Il en prit une cuillère et la porta à ses lèvres. Délicieux.

- Angelika prépare vraiment les meilleures glaces. Et elle m'a préparé un peu de sorbet à la marmelade! Regarde. Elle me connaît bien.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant