La futilité des choix

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- Je te demande juste de ranger ton matériel !! Je t'ai laissé installer ton atelier au grenier, ce n'est pas pour que tu mettes le désordre dans mon salon!

- Tu es si méticuleuse! J'y ai laissé quoi, deux pinceaux?

- Tu as laissé une tâche sur le parquet, et tu sais que ça ne part pas si vite! Seigneur, mais pourquoi n'écris-tu pas plutôt pour changer, au moins tu ne mettrais pas autant le désordre!

- Écrire? Pour devenir aussi arrogant que tous ces romanciers?

- Car tu crois que tu ne l'es pas déjà?! Tu critiques sans cesse les autres, Eugène, mais dès que l'on te critique tu t'offusques! Tu reproches leur susceptibilité et leur hautaineté à Hugo et Balzac mais tu n'es pas mieux qu'eux!!

- Ne m'associe pas à ces abrutis!! Quand je pense que cet égocentrique d'Hugo, qui est si imbu de sa personne, m'a insulté pour la seule raison que je ne partageais pas son avis! Et ça se dit artiste!!

- En tout cas, il est respectueux du travail des autres!!

- Respectueux? Quand s'est-il informé de mes travaux pour la dernière fois?

- Tu vois?! "Mes" travaux, "mes" dessins! Tu n'es pas le seul artiste ici!! Si seulement tu pouvais être aussi humble que Frédéric. Lui au moins travaille pour lui-même et non pas pour les acclamations de je ne sais quelle institution!

Coïncidemment, Chopin ouvrit la porte du salon au même moment, tombant nez à nez avec son amante et Delacroix qui s'arrêtèrent pour le fixer en retour.

- Quel spectacle nous affichons là, avoua ce dernier. Mais voilà qui va me calmer : Mon cher petit Chopin! Dites donc à notre chère Aurore que Victor Hugo est bien un homme rustre et que je ne lui suis semblable en rien!

- N'écoute pas cet imbécile, Frédéric. Il est plus vaniteux que quiconque!

Lui qui voulait être discret, c'était raté. Il serra son livre contre lui, maintenant rempli de regrets. Pourquoi avait-il décidé de venir ici, et pas dans sa chambre? Il détestait les conflits, et redoutait encore plus de s'interposer au milieu de l'un d'eux.

C'était pourtant sensé être un bon séjour, calme et paisible. Il était revenu à Nohant, et avait, ces derniers jours, profité de l'air de la campagne tout en passant ses journées à travailler, lire et se promener. Durant ces allers-retours entre sa chambre et le jardin, il faisait à peine attention aux invités qui allaient et venaient chez son amante. Mais c'était difficile d'ignorer celui-ci. Delacroix était présent partout, que ce soit par les cours qu'il donnait au fils de cette dernière, par l'atelier qu'il avait installé au grenier ou par le matériel qu'il semait partout, jardin compris. Et combien de fois s'était-il introduit dans sa chambre pour l'écouter jouer, lui faisait-il la conversation au dîner et au souper, ou lorsqu'il était tout simplement seul? Ça ne le dérangeait pas, au contraire même, c'était plaisant d'avoir quelqu'un d'aussi aimable et curieux autour de soi, mais il espérait juste qu'il ne devienne pas trop envahissant. Ce serait bête d'avoir un Berlioz 2.0.

Ou qu'il ne l'entraîne pas dans des situations embarassantes comme à présent. Puis quelle était cette manie qu'avait son entourage de lui donner des surnoms si familiers et ridicules? Il n'imaginait même pas la réaction de Liszt si on le traitait de cette manière. Malheureusement il n'était pas comme lui, et il se taisait, car ce serait stupide de créer un conflit là-dessus. Surtout qu'apparemment, il y avait déjà de l'orage dans l'air.

- Je ne préfère pas répondre, ni à l'un ni à l'autre, finit par dire Chopin en évitant leur regard et en faisant demi-tour.

Il ne fit même pas attention à leurs protestations, et monta rapidement les escaliers, traversa le couloir et entra dans sa chambre. Il en referma la porte, et posa son livre sur une commode en soupirant. Pourquoi Amantine n'était-elle pas capable de garder son sang-froid? Elle était intelligente et amicale, mais parfois il lui arrivait d'être tant emportée et bornée... et maintenant, lui qui se sentait si paisible, sentit un poids apparaître sur son cœur. Il n'aimait pas voir ses proches se disputer, surtout pour des broutilles.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant