- Tiens-toi tranquille! Tu as assez fait de bruit dans la diligence.
Se reprenant et se mettant bien droite, Marie se détourna de sa fille et frappa quelques coups à la porte de sa main gantée. Elle entendit aussitôt du bruit, comme si l'on se levait, et en un instant l'on vint lui ouvrir.
- Monsieur Chopin! Bonjour, s'exclama-t-elle avec sourire qui contrasta avec le visage agacé qu'elle arborait il y a un instant. Je suis rassurée de vous voir chez vous - mais même temps, il paraît que vous êtes rarement de sortie.
- Madame d'Agoult... bonjour. Que me vaut votre visite? Demanda-t-il en passant une main dans ses cheveux décoiffés.
- Oh, je ne serai pas longue, vraiment.
Sans en attendre l'invitation, elle le poussa gentiment pour entrer dans l'appartement, sa fille silencieuse à la main. Chopin eut tout juste le temps de la remarquer que la jeune femme reprit la parole, avec à la fois embarras et assurance, ce qui fut très étrange.- Voyez, je suis en séjour à Nohant, mais avais une course à faire à Paris, et des amies à voir. Malheureusement, Sophie est tombée malade, et je n'ai pu me résoudre à laisser ma fille auprès d'Aurore et de ses domestiques trop occupées, qui l'aurait sûrement ignorée. Et je devine que Franz aurait fait de même. Je croyais pouvoir la garder avec moi, mais je me suis trompée. Je vais voir une amie qui sera gênée par sa présence. Alors j'ai pensé à vous. Je sais que vous êtes une personne attentionnée et généreuse. Oh! Ce n'est que pour l'après-midi, et je reviendrai la chercher ce soir.
Durant ces paroles, il était resté sans voix. Attentionné et généreux? En voilà des mots! C'était plutôt qu'il était moins à même de protester comme Aurore ou Franz, et qu'il était gratuit de la lui confier - car elle aurait bien pu payer quelque femme pour la garder.
- Puis l'on dit que vous aimez beaucoup à jouer avec les enfants. De plus vous êtes responsable.
- Madame d'Agoult, je ne saurais refuser, mais enfin... j'ai du travail.
- Oh, donnez-lui un livre avec images ou un jouet, et ça l'occupera pendant que vous composerez. J'ai pleinement confiance en vous, mon cher, et vous êtes un grand ami.
- J'étais en train de travailler ma danse, vous savez, je ne passe pas mon temps à composer, contrairement à ce que beaucoup aimeraient croire. Mais enfin... êtes-vous certaine de ne connaître personne d'autre pour la garder? Je ne saurais m'occuper d'une fillette si petite...
Un sourire aux lèvres, elle posa sa main sur son épaule et lâcha celle de sa fille.
- Vous êtes très aimable, Monsieur Chopin. Soyez sûr que je m'en souviendrai. Je reviendrai ce soir, avant la tombée de la nuit.
Et sans rien ajouter, elle fit demi-tour. Il fronça les sourcils en la voyant refermer la porte. Pour quelqu'un qui critiquait leur amie, elle agissait décidément beaucoup comme elle.
Il baissa les yeux sur la fillette, qui avait accrochée sa petite main à son pantalon, et le regardait avec de grands yeux comme si elle ne comprenait pas trop ce qu'il se passait. Enfin au moins elle ne pleurait pas, c'était déjà un bon point.
- Ta mère semblait plus que pressée de revoir ses amies. C'est sûr que c'est autre chose que Nohant, la grande vie parisienne, quoi qu'on y fasse là-bas. Bon... je ne sais comment m'occuper de toi. J'ai des petites sœurs, mais je ne les ai jamais vues si petites. Veux-tu jouer à quelque chose? Ou as-tu faim? Par ailleurs, parviens-tu à parler? Tu n'étais pas très bavarde la dernière fois que je t'ai vu. C'était il y a quelques mois déjà.
Elle le regarda encore, silencieuse, avant de s'exclamer :
- Choco'at!
Il haussa un sourcil.
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...