La mélodie des sentiments

Un peu de fantaisie

Été 1830

- Tu dois d'abord savoir que c'est chez une grande comtesse qu'ils se sont rencontrés. Elle était sa dame de compagnie, et lui était le précepteur de ses enfants. Tu sais bien que c'était son occupation avant de devenir professeur de français. Enfin, sache que ma mère était assez timide, ce qui est étonnant car elle a maintenant beaucoup d'assurance. Et c'est justement cette comtesse qui l'a poussée à ouvrir son cœur.

- Ma très chère amie, je sens que quelque chose vous tracasse. Vous savez bien que vous pouvez m'en parler.

La jeune femme fuya son regard, gênée.

- Oh, ce n'est rien. Je ne voudrais point vous importuner avec mes soucis de cœur.

- Je vous en prie, dites-moi. J'ai au contraire tout mon temps. Rien ne m'ennuie plus que de demeurer silencieuse avec mes amies, et j'aime la conversation.

La concernée jeta un œil autour d'elle. Elles étaient toutes deux seules dans l'immense salon. Elle prit une grande inspiration.

- Votre intuition est bonne, Madame. Il se trouve, en effet, qu'un homme a su attiser en moi une jeune flamme.

- Ma chère Justyna, quelle heureuse nouvelle! Qui est-ce? Est-ce notre nouvel écuyer? Ou bien l'un de nos cuisiniers?

- Oh, non, il est bien plus raffiné que cela. Un peu trop peut-être. Je paraîtrais bien idiote auprès de lui, si je devais un jour partager sa conversation.

- Ne vous sous-estimez point. Aucune de mes dames de compagnie n'a moins d'esprit que tous les hommes de ce château. Allons, dites-moi de qui il s'agit, ou je ne saurai trouver le sommeil cette nuit.

Justyna se mordit la lèvre.

- Vous vous moquerez.

- Sûrement pas. À part s'il s'agit de mon époux.

- Non, non - elle inspira. Il s'agit en vérité de Nicolas Chopin.

- Monsieur Chopin? Notre précepteur? Comme c'est charmant! Il est vrai qu'il est très bien fait, et qu'il est un homme sage. Son charme français fait aussi beaucoup d'effet.

- Jamais il ne pourrait vouloir de moi, gémit la jeune Justyna.

- Allons, mais qu'est-ce, cette attitude défaitiste? Êtes-vous une protagoniste de roman? Vous êtes vous aussi fort belle et intelligente, et je vous estime beaucoup, et je ne saurais qui pourrait mieux vous correspondre que Monsieur Chopin.

- Il est si savant, et je ne sais rien. Je ne connais même pas le français. Comment pourrais-je l'impressionner?

- Vous avez bien des qualités pour vous en soucier. Pourquoi ne pas organiser un concert privé? Vous excellez au piano, mon amie, et ce sera l'occasion parfaite pour attirer son attention. Vous pourrez même le lui apprendre. Je vous laisserai à vous seuls la salle de musique.

- C'est bien trop aimable. Mais je suis bien trop étourdie pour ne pas faire quelque bêtise qui m'embarasserait.

- Il faut avoir confiance. Puis pensez à lui : il sera, à mon avis, tout aussi timide que vous. Les hommes sont fiers mais en amour beaucoup rougissent. Allons, je serai là pour vous aider.

Justyna lui rendit son sourire, soudain plus confiante.

- Et ton père? Avait-il remarqué cette inclination?