Confiance

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Liszt ouvrit la porte de l'appartement en chantonnant, et la referma à clé aussitôt après être rentré. Il retira ses chaussures, puis son couvre-chef, et sourit en coin en voyant la petite clé noire dans sa main. Échanger celles de leur appartement, avec son compagnon, faisait partie de ces petites marques d'affection et de confiance. Un peu comme lorsqu'il lui permettait de jouer ses œuvres. Il n'y a pas qu'au lit qu'ils pouvaient ouvrir leur intimité à l'autre.

Il déposa nonchalamment sa veste sur le porte-manteaux de l'entrée, et traversa le couloir en bâillant. Sa tête tournait un peu, mais il était encore bien conscient. Il n'avait pas trop bu, il avait fait un effort. Il avait appris par le passé que finir ivre à un rendez-vous d'affaire n'était pas très bénéfique pour ses futurs revenus.

Dans le couloir dépourvu d'une quelconque lumière, il s'avança à pas lents, tâtonant les murs. Il se souvint d'une fois où Berlioz était si ivre qu'il avait entreprit d'enseigner les gammes à des poules, et éclata de rire. Il rit si fort, et si longtemps, que la porte près de laquelle il se tenait debout s'ouvrit sur Chopin, en robe de chambre et une bougie à la main.

Il rit davantage en voyant son visage, pourtant plus que sérieux et qui n'avait rien de drôle. Pourquoi ne pouvait-il pas calmer son fou rire? Elle était extraordinaire, aussi, cette expression, et ce souvenir aussi.

- Franz? Que fais-tu ici? Pourquoi n'es-tu pas chez toi?

Il se racla la gorge en espérant se calmer, et posa ses yeux trempés de larmes sur lui, la tête appuyée contre le mur.

- C'était trop loin, d'où je venais.

- C'est à deux rues!

- Et je suis fatigué. Benacci m'a parlé affaires durant des heures et mes pauvres oreilles ne peuvent plus supporter un vocabulaire financier ou musical.

- Imbécile, lâcha-t-il sans l'écouter, j'étais chez toi ce matin, et Marie t'y attend.

- Vraiment? Alors j'ai bien fait de monter chez toi. C'est peut-être mon instinct qui me l'a dicté. Ou un signe du Seigneur...

- Tu sens l'alcool, c'est infect, grimaça-t-il. Enfin, tu as là une bonne raison de rester ici. Je ne veux pas te laisser rentrer chez toi dans cet état.

- Quel état? Je vais très bien! Je n'ai presque rien bu. Si je finissais ivre, on allait encore m'escroquer, je le sais. Alors j'ai fait attention.

- Bien, je te crois... maintenant entre, puisque tu ne veux pas rentrer chez toi.

- Je n'ai pas la force de faire face à cette bonne femme... bâilla-t-il encore en se dirigeant vers le lit sans se faire prier. Puis si elle s'aperçoit que j'ai bu, elle va encore me crier dessus, et j'ai encore besoin de mon ouïe.

- Je vais te prêter une robe de chambre. Tu es plus grand que moi mais ça t'ira, c'est large, rajouta-t-il en posant sa bougie pour ouvrir son armoire, le voyant s'allonger du coin de l'œil.

- C'est vrai, comment pourrais-je jouer si je ne peux plus entendre? Je n'ai pas envie d'être le nouveau Beethoven... et je ne pourrais plus t'entendre jouer... je ne pourrais plus t'entendre crier de plaisir non plus.

- Parfois, tu arrives presque à me faire croire que tu as un cœur sensible et une âme romantique, et la dure réalité revient et je me rends compte que tu n'es qu'un esprit gouverné par des pensées lubriques.

- Toujours, quand tu es à mes côtés, mon beau.

Chopin roula des yeux, et sorti une robe de chambre pliée de son armoire. Et encore, son homologue n'était qu'à peine éméché. Il l'avait déjà vu bien plus ivre et insupportable. Déjà qu'il l'était assez, sobre...

- Mets ça et tais-toi, dit-il d'un ton neutre en lui jetant le vêtement. Je dormais, et tu m'as réveillé. Si tu m'ennuies, je n'hésiterai pas à te laisser dormir dans le couloir.

- Il n'y a qu'avec moi que tu es si sévère... minauda Liszt en faisant la moue. Tu ne parlerais jamais de cette manière à ton Amantine.

- Parce qu'elle, je la respecte, et elle ne me désespère jamais.

Tandis qu'il s'installait dans le lit, Liszt se redressa.

- ...Tu n'es pas sérieux, si?

- Bonne nuit, Franz.

Il souffla sur sa bougie, sans même lui laisser le temps de se changer, et remonta sa couverture en lui tournant le dos.

- ...Es-tu en colère contre moi? Qu'ai-je fait?

Chopin hésita à répondre. Mais de bon cœur, il ne put retenir son silence.

- Tu es ignoble envers Marie, elle t'a attendue toute la journée et tu ne vas même pas la saluer. Et j'avais enfin réussi à m'endormir, après de longues heures. Je ne suis pas en colère, je suis agacé.

- Oh, excuse-moi, mon Chopinetto... dit-il en se redressant à nouveau et en passant un bras autour de lui.

Il lui embrassa la joue, et reprit d'un sourire :

- Plus jamais je ne troublerai ton sommeil, je le jure. Et pour Marie, j'irai la voir demain, dès le matin même.

- J'espère que tu tiendras parole. Elle avait l'air concernée.

- Tu n'as pas à t'inquiéter! Je sais y faire avec les femmes. Enfin, du moins avec Marie. Un baiser et un mot d'amour et tout me sera pardonné.

Chopin laissa échapper un soupir. Il aurait pu se moquer, oui. Mais qui était-il pour penser ça? N'était-il pas pareil à Marie, lorsqu'il pardonnait tout à son amante à la seule vue de son sourire?

- Si tu le dis...

Il ferma les yeux, tentant d'oublier tout ça. Il appréciait beaucoup la jeune femme, mais ses problèmes d'amour, ce n'était pas ses affaires. Après tout, qu'ils se débrouillent.

- Si tu veux lui faire du mal, que tu le fasses... dit-il tout haut sans le vouloir, dans la suite de sa pensée.

- Je t'aime.

D'où ça sortait, ça, encore?

- Ce n'est pas à moi que tu devrais dire cela.

- Et pourtant je te le dis. Je pourrais te le chanter, te le jouer, te le dessiner. Je t'aime, mon Frédéric... avoua-t-il en pressant son corps au sien.

- Alors.. ne me quitte pas...

- Jamais. Et si je dois m'éloigner de toi, tu ne quitteras pas mes pensées.

- Tous ces mots sont stupides... déclara-t-il en secouant la tête.

- Tu préfères les gestes?

- Encore moins. Je veux dormir.

- Tu es beau lorsque tu es endormi.

- Et toi lorsque tu te tais.

- Tu es une œuvre d'art à toi seul, mon cher. Peu importe ce que tu fais, tu restes élégant. Et bien d'autres seront d'accord avec ce raisonnement, non, ce fait...

Exaspéré, il se retourna vers lui et lui mit ses doigts dans la bouche.

- Là tu vas te taire.

Il ne réagit pas, à la fois surpris et amusé. Toutefois il ne fit aucun geste, du moins durant un court instant, et se recula pour ensuite déposer un rapide baiser sur ses lèvres.

- Très bien, je me tais. Et je te laisse dormir. Bonne nuit, mon cher.

Il est vrai qu'il souhaitait cela, mais tout compte fait il voulu lui reparler de plusieurs sujets. Cependant le sommeil le rattrapa, et il s'endormit contre lui sans s'en rendre compte.

La mélodie des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant