Sand déversa le thé orangeâtre dans la tasse de son invitée.
- Que me disiez-vous, avant que nous nous installions? Tenta de se rappeler celle-ci. Vous me parliez de l'abstinence de Monsieur Chopin.
Elle roula des yeux, et se servit à son tour.
- Si vous saviez, c'est une véritable torture pour moi! J'ai l'impression de vivre avec lui comme avec une vierge. Et pourtant, Dieu sait que j'ai tout essayé. J'ai caressé, griffé, frappé chaque partie de son corps ; j'ai mis en œuvre toutes les pratiques. Bien sûr, il y en a qui lui plaisent! Mais si vous croyez que cela le convainc de me déflorer entièrement! Oui, vraiment, j'ai l'impression qu'il se prend pour la femme, et qu'il me prend pour l'homme. Pourtant c'est lui qui est muni du sceptre de Vénus. Mais c'est comme s'il ne savait pas s'en servir. Ah, mais c'est de ma faute ; après ma rupture avec Alfred, j'ai voulu quelqu'un de plus chaste. J'aurais dû savoir que cela ne me convenait pas. Comme je rêve souvent que l'on me baise comme il le faisait!
Marie écouta tout cela, à la fois intriguée, mais pas si surprise. Elle prit sa tasse dans sa main. Le thé était encore trop chaud pour le boire.
- Mais vous avez toujours cet Eugène Delacroix, n'est-ce pas?
- Oui, mais il est si ennuyeux, lui aussi. Il peint bien, mais au lit il n'y a jamais de nouveauté. Je cherche un homme avec de la fantaisie, voyez-vous. Mais je n'en trouve pas. Et vous, avec Franz? J'ose espérer que cela se passe mieux que pour moi.
- Figurez-vous que c'est tout l'inverse de Monsieur Chopin! Il est pieu, et pourtant il ne connaît point la fidélité. Dès que je me refuse à lui, il va se payer une de ces prostitués! Ou bien l'une de ces bourgeoises folles en pleine hystérie lors de ses concerts, enfin, cela revient au même... il passe si peu de temps avec moi en ce moment. Il ne quitte plus Paris, et je ne sais pas ce qu'il y fait. Il ne s'intéresse même pas à sa fille.
- Vous vous plaignez, mais je vous envie. Un amant qui vous laisse la paix... Frédéric ne cesse de m'inonder de lettres. Surtout depuis qu'il est parti séjourner près de l'océan avec Franz et cet Hector Berlioz...
- Près de l'océan? Voyez, je n'étais même pas au courant! Cet imbécile, je me serais bien gardé de l'aimer, si j'avais pu. Les seules fois où nous nous voyons, nous nous disputons. Et pourtant... je me vois très difficilement vivre sans lui, avoua-t-elle.
- Pour ma part, même si je l'aime, je serais capable de vivre sans Frédéric. Il a davantage besoin de moi que je n'ai besoin de lui. Enfin, si vous avez une solution pour lui donner davantage le goût des plaisirs de la chair, ma chère amie, je serai toute ouïe.
- Je crains ne pas pouvoir vous aider. Je n'ai pas ce problème avec Franz. Mais dites-moi, Frédéric ne serait-il pas vierge?
- Croyez-vous si je n'y ai pas pensé! Je vous le répète. Mais même un vierge serait heureux face à un corps de femme dénudée! Frédéric est juste... je ne sais pas. Presque indifférent. Ah, pourtant, dès que je lui dis que je l'aime, il atteint l'orgasme!
- Peut-être en aime-t-il une autre?
- Ce serait bien impossible. Il n'a toujours aimé que moi. Non, c'est vrai que...
Aurore fit mine de réfléchir, et Marie s'approcha, curieuse.
- C'est vrai qu'il aurait aimé cet homme, dans cette adolescence... comment s'appelait-il, déjà? Tytus, je crois...
- Un homme?!
Marie ouvrit de grand yeux, surprise.
- Oui, un homme. Pourtant, il ne les apprécie pas plus que les femmes. Des sottises que me dit Eugène, encore une fois...
- Ne le croyez-vous pas?
- Il ne m'a jamais parlé d'une quelconque inclinaison pour les hommes.
- Bien sûr, il vous aime. Mais la prochaine fois, parlez-en lui. Ah, ce n'est pas mon Franz qui aurait de tels penchants. Lui n'aime que les femmes. Ce qui est d'ailleurs tout aussi problématique... grogna-t-elle en buvant une gorgée de son thé, amère.
Sand semblait maintenant pensive. Elle n'était pas aussi naïve que Marie. Mais elle n'y croyait quand même pas. Il était timide, c'est tout. Et elle comptait bien changer ça.
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La mélodie des sentiments
Historical FictionUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...