- À trois! Un... deux...
Solange n'attendit pas que son frère prononce le dernier chiffre pour déverser le contenu du seau d'eau glacée sur la tête de Chopin.
Celui-ci sursauta aussitôt, et un violent frémissement suivit. Tandis que les deux enfants riaient aux éclats, il regarda l'ampleur des dégâts, grelotant. Non seulement ses cheveux et ses vêtements étaient trempés, mais il pouvait dire au revoir à son journal du Figaro. Il voulu les sermonner, mais il n'en avait pas l'autorité - voilà bien un trait qu'il partageait avec leur mère pour une fois, le seul peut-être - puis de toute façon, ils étaient déjà retournés à la fontaine dans le rire.
Il observa à nouveau, d'une grimace, son journal à moitié imbibé d'eau. Il se demanda s'il avait bien fait d'emmener ces trublions au jardin du Luxembourg. En même temps, ils avaient l'habitude de gambader dans les champs, d'explorer quelque recoin de campagne ou d'inventer quelque jeu au fond de leur jardin à Nohant. Les garder dans son minuscule appartement aurait été une grossière erreur. Puis mieux valait qu'il abîment des biens public que ses meubles.
- Malheureusement, la pluie ne s'est pas arrêtée! Les nuages gris nous préviennent d'une longue averse!
Cette fois, il réussit à se lever à temps et à attraper le bras de Solange avant qu'elle ne lui verse sur lui une seule goutte d'eau de plus.
- N'est-ce pas bientôt fini, ces sottises?! Continuez et j'en dirai deux mots à votre mère!!
- On s'en fiche, dit Maurice en tirant la langue.
- Justement, jeune homme, tu es bien impertinent! À ton âge, j'avais déjà laissé les bêtises de l'enfance derrière moi, et j'obéissais à mes parents avec respect.
- C'est pas vrai ! Monsieur Delacroix m'a dit qu'à mon âge, vous vous enfermiez dans la chapelle pour pratiquer la sad... sod... euh...
- Ne crois pas tout ce que te dis ce félon! Et je suis sûr que c'est toi qui entraîne ta sœur dans tes bêtises, insolent!
- Frédéric, vous me faites mal... se plaignit celle-ci, alors qu'il serrait toujours son bras. Lâchez-moi...!
- Pas du tout! C'est elle qui a eu l'idée du seau!
- Lâchez-moi !
- Sais-tu ce qu'il me faisait, mon père, lorsque j'étais un mauvais garçon? Il me sermonnait devant tous les élèves de mon pensionnat, et me donnait des claques jusqu'à ce que j'arrête de pleurer! C'est ce qu'il te faudrait comme leçon!
- Je m'en fiche!! Répeta-t-il. Mon père, je le vois jamais, et maman dit que c'est un imbécile!!
- À L'AIDE!!! LE MÉCHANT MONSIEUR VEUT ME RETIRER À MA MAMAN!!! AIDEZ-MOOOOI!!!! IL VA FAIRE DE MOI SON ESCLAVE!! IL VA ME FAIRE DU MAL ET ME PERVERTIR!!
Il lâcha immédiatement la jeune fille, alerté, ce qui la fit heureusement se taire. Ceux qui avaient tourné leurs regards vers lui se détournèrent, et, rassuré mais tout autant dépassé par ces énergumènes, il se rassit en mettant ses mains sur son visage.
- Frédéric... reprit Solange d'une voix plus clame.
- Que veux-tu encore? Demanda-t-il en tentant de ne pas faire ressentir son agacement dans sa voix.
- Donnez-moi des sous pour que j'aille acheter des marrons chauds au monsieur là-bas, dit-elle en montrant le stand au bout de l'allée du doigt, sinon je me mets de nouveau à crier, et Maurice criera avec moi !
- Tu es bien la fille de ta mère! Grommela-t-il en sortant son portefeuille de sa veste. Prenez ces deux francs, et laissez-moi ! Et ne vous perdez pas.
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La mélodie des sentiments
Ficción históricaUn concert, une déclaration, un baiser, et la perspective de passer une bonne soirée. Sur les quais de Seine, dans un coin tranquille de campagne, sous la bise maritime d'une plage, au recoin d'une chambre sombre, les sentiments tournoient comme une...